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[Venise 2022] « Pearl » de Ti West

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De quoi ça parle ?

De Pearl(Mia Goth), une jeune fermière texane qui rêve de devenir danseuse de revue, comme les girls des Palace Follies, qu’elle admire.
Lorsqu’elle apprend qu’une troupe itinérante va très prochainement faire passer des auditions dans la petite ville voisine, elle y voit un signe du destin, une opportunité de montrer qui elle est vraiment.
Mais encore faut-il convaincre sa mère de lui laisser tenter sa chance. Or, Ruth (Tandi Wright), femme austère et sévère, aux préceptes religieux rigides, trouve que danser est moralement répréhensible et interdit à Pearl de s’y adonner en privé. Alors danser en public, dans un cabaret, n’y pensons même pas… Par ailleurs, elle refuse que Pearl s’attarde trop en ville pour d’autres choses que des achats essentiels. En pleine pandémie de grippe espagnole, c’est le meilleur moyen de ramener des germes à la maison.  Et en pleine Première Guerre Mondiale, alors que les migrants allemands ne sont pas vus d’un bon oeil, c’est risquer d’attirer l’attention sur toute la famille… Surtout, Maman n’est pas très encline à laisser sa fille quitter la ferme familiale. Depuis le départ de son gendre pour le front et l’attaque cérébrale qui a rendu son mari paraplégique, elle s’occupe seule de leurs terres et compte sur Pearl pour s’occuper des animaux.
Pearl, qui était sans doute déjà borderline, sombre brutalement dans la folie.

Pourquoi on trouve que le film est une vraie perle du genre ?

A vrai dire, cette projection en séance de minuit à la Mostra de Venise nous faisait un peu peur. Normal, nous direz-vous, c’est le but d’un film d’horreur. Mais notre peur était surtout de perdre du temps à regarder un épouvantable nanar. Déjà parce que les derniers films d’horreur projetés sur le Lido, pendant les éditions précédentes, sont loin de nous avoir laissé des souvenirs impérissables (Halloween kills, Wolf creek 2…). Ensuite parce que, si nous n’avons pas vu X, le film dont Pearl est la préquelle, nous avons vu d’autres films de Ti West qui ne nous ont pas fait très bonne impression (The Roost, The Sacrament…).
Et là, petit miracle, le film s’avère beaucoup mieux que prévu. Pearl est un film de genre assez classique au niveau de la montée en tension et des séquences horrifiques, mais qui affiche des ambitions esthétiques et artistiques assez surprenantes, ainsi qu’une performance d’actrice de tout premier ordre.

Le ton est donné dès la première séquence, celle du générique, où la jeune héroïne effectue quelques pas de danse devant la caméra. L’image est en technicolor, la police des textes est délicieusement rétro, évoquant l’âge d’or de Hollywood. Pearl voit son numéro interrompu par sa mère, qui lui rappelle sèchement ses obligations : s’occuper de son père paraplégique, puis aller nourrir les bêtes. La jeune femme s’exécute et va même un peu plus loin en nourrissant aussi le crocodile qui patauge dans la mare voisine (un clin d’oeil à Tobe Hooper et à son Crocodile de la mort), mais elle ne veut plus de cette vie de labeur, coupée du monde. Elle sait qu’elle pourrait devenir une vedette de music-hall si on lui donnait sa chance et, en attendant, elle alimente son rêve en s’accordant en cachette, lors de chaque passage en ville, une séance de cinéma. Elle ne se lasse pas de revoir son film préféré, “Palace Follies”, un ersatz des Siegfield Follies, très en vogue à cette époque-là.
La jeune femme rêve d’une tempête qui entraînerait tout sur son passage, emporterait la ferme, ses parents, les animaux ou qui la propulserait, elle, “de l’autre côté de l’arc en-ciel”, comme la Dorothy du Magicien d’Oz. Le cadre rural, la tenue de l’héroïne et les plans en technicolor font forcément penser au film de Victor Fleming (mais que Pearl n’a pas pu voir, puisqu’il date de 1939). La référence devient encore plus évidente quand, après une escapade au cinéma, où un beau projectionniste l’a abordée, elle croise en chemin un épouvantail avec qui elle “sympathise”. La différence, c’est que dans le roman de L. Frank Baum, Dorothy n’a, sauf erreur, jamais utilisé l’épouvantail comme un sextoy lui permettant d’évacuer ses pulsions sexuelles, ni découpé qui que ce soit à coups de hache…

Dans le rôle-titre, Mia Goth, également coscénariste du film, est absolument époustouflante. Elle incarne avec beaucoup de force cette anti-héroïne à la fois très inquiétante, quand prise d’accès de démence, et touchante, quand son rêve de brise au profit d’une autre fille plus jeune et plus blonde qu’elle.
L’actrice se révèle même bouleversante lors d’un long monologue de cinq minutes en plan fixe, lorsqu’elle raconte la vie difficile de son personnage et comment ses rêves se sont brisés sur les récifs d’une réalité déprimante, entre un mariage trop jeune, la guerre mondiale, une vie rurale sans perspective d’avenir.
On n’est plus vraiment dans un film d’horreur, à ce moment-là. La forme est digne d’un solide film d’art & essai. Le fond et l’enrobage esthétique lorgnent, eux, du côté du mélodrame flamboyant façon Douglas Sirk. C’est du bon cinéma, ambitieux et maîtrisé.
On se souviendra aussi du tout dernier plan, où Pearl est seule au centre de l’écran, essayan d’arborer un sourire et de le maintenir figé, alors que tout le reste de son visage et de son corps semble avoir envie de hurler et sangloter.

Ti West et Mia Goth ont réussi leur pari. Pearl est loin du simple film d’exploitation essayant de surfer sur le succès de X (est-il seulement un succès?). C’est un film d’horreur qui transcende le genre en réussissant la fusion parfaite avec le mélodrame et donne à l’actrice principale l’occasion de briller. C’est aussi un vibrant hommage au septième Art, porté par quelques séquences inspirées, à l’image de cette séquence en miroir, vers la fin du film, qui semble vouloir faire passer un test de Rorschach au spectateur. Voilà qui devrait ravir les cinéphiles, du moins ceux qui ne sont pas allergiques à l’hémoglobine!
La seule chose qui nous frustre, c’est que nous avons désormais très envie de découvrir X, qui rend hommage aux grands films d’horreur des années 1970, Massacre à la tronçonneuse en tête. Et on ne connaît pas sa date de sortie en France. Il faudra aussi attendre un peu pour découvrir le troisième volet de ce qui constituera donc une trilogie, le dernier opus devant probablement rendre hommage aux films d’horreur des années 1980…


Contrepoints critiques

“INTELIGENTE, VIOLENTA, DIVERTIDA Y PERVERSA. Así describen a Pearl que ya estrenó frente a los ojos de críticos y público especializado. Además, hay nuevo póster para celebrar su estreno”
(@zombyte_oficial sur Twitter)

”It promises to give viewers more insight about Pearl, but the execution is underwhelming & the film’s message muddled, uncertain of its message.”
(Mae Abdulbaki – Screenrant)

Crédits photos : Christopher Moss – Images fournies par La Biennale Cinema 2022


[Cannes 2023] « Vers un avenir radieux » de Nanni Moretti

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Vers un avenir radieux aff[Compétition Officielle]

De quoi ça parle?

D’un pâtissier trotskiste dans la Rome des années 1950, en comédie musicale…
Ah, pardon. Au temps pour nous, ça c’était une scène de Aprile, qui avait permis à Nanni Moretti de réaliser l’Arlésienne de ses projets cinématographiques, évoquée par malice à chaque fois qu’on l’interrogeait sur la nature de son prochain long-métrage.

Ici, c’est un peu différent, et à la fois, pas tant que cela. Il est question de la visite d’un cirque hongrois, à Rome en 1956, qui provoque un schisme au sein du Parti Communiste italien. Le cirque est de passage en ville alors que, dans son pays d’origine, une rébellion populaire contre le régime communiste en place est violemment réprimé, avec l’intervention de l’armée soviétique. Afin de manifester leur soutien au peuple hongrois, le personnel du cirque se met en grève. Cela génère quelques dissensions entre le responsable de l’antenne locale du Parti Communiste Italien (Silvio Orlando) et son assistante (Barbora Bobulova) qui n’ont pas du tout la même approche des choses. Au-delà de cette petite querelle, l’incident provoque aussi une vraie fracture au sein de la gauche italienne. Les leaders du PCI décident de soutenir la répression du mouvement, alignés sur la politique de Moscou, tandis que le Parti Socialiste Italien se désolidarise de la politique des soviétiques. D’autres partis de gauche marquent aussi leur opposition à cette ligne dure, ce qui fait voler en éclats la coalition formée aux dernières élections. Au sein du PCI, il se produit aussi un schisme idéologique qui conduira, quelques années plus tard, à l’émergence de plusieurs partis de gauche ou d’extrême gauche inconciliables, et à la naissance de groupuscules radicaux.

Cette histoire est au coeur du scénario du film de Giovanni (Nanni Moretti), cinéaste italien sexagénaire. Sur le plateau, il tente d’expliquer sa démarche à ses assistants. Il veut montrer que si le monde en est là où il est aujourd’hui, avec une droite dure au pouvoir en Italie et une Russie toujours aussi belliqueuse, c’est peut-être parce que la gauche, en Italie ou ailleurs, n’a pas su prendre ses distances avec le communisme soviétique et n’a pas su avancer unie pour contrer les idées conservatrices et ultralibérales. Et pour bien montrer son amertume en tant qu’auteur et citoyen il envisage de faire de son film une tragédie, se terminant par le suicide du protagoniste principal.
Le hic, c’est que les assistants en question sont de jeunes crétins qui ignoraient même qu’un parti communiste italien ait pu exister. Dans ces conditions, comment réussir à fédérer l’équipe autour de sa thématique? De toute façon, Giovanni trouve que le tournage vire au cauchemar : l’actrice principale ne tient pas compte de ses directives – et en plus, elle porte des mules, ce qui a le don de l’agacer prodigieusement –, les techniciens râlent, l’accessoiriste s’ingénie constamment à oublier des objets modernes dans le décor des années 1950 – certes l’Italie des années 1950 n’est plus celle des “téléphones blancs”, mais un chargeur de smartphone, n’est-ce pas un peu anachronique ?, les animaux de cirque posent problème et, pour parachever le bazar, le financier français (Mathieu Amalric) semble curieusement absent du plateau, surtout quand il doit sortir le carnet de chèques… De surcroît, la productrice, qui n’est autre que sa compagne Paola (Margherita Buy), passe moins de temps sur son tournage que celui d’un autre cinéaste dont elle a la charge et qui représente tout ce que Giovanni abhorre.

Côté vie professionnelle, ce n’est pas le top. Et côté vie privée, c’est pire. Paola, lassée de ses jérémiades permanentes et de son égocentrisme, a décidé de le quitter. Leur fille aussi s’apprête à quitter le foyer familial. Elle lui a annoncé qu’elle avait un petit ami et que c’était du sérieux, omettant toutefois de préciser à son père l’identité du garçon, qui va fortement le surprendre…
Bref, c’est l’histoire d’une dépression et des tentatives du personnage pour s’en sortir.

Pourquoi on sort de la salle radieux ?

Certes Nanni Moretti a réalisé plusieurs films de pure fiction, de Bianca à Habemus Papam, en passant par La Chambre du fils, mélodrame classique qui lui a valu la Palme d’or en 2001. Et avec Tre piani, en compétition à Cannes en 2021, il avait même, pour la première fois, adapté le texte d’une tierce personne, un roman de l’écrivain israélien Eshkol Nevo. Cependant, le cinéaste italien n’est jamais aussi bon que quand il se lance dans des récits d’inspiration autobiographique, où il se raconte avec humour et intelligence, à la première personne ou par le biais d’un alter-ego – Michele Apicella dans ses premiers films, Giovanni (son vrai prénom) depuis Mia madre – et où il aborde les sujets de société qui lui tiennent à coeur, le plus souvent, les affres d’un cinéma moderne gangréné par la violence et la bêtise et le chaos qui caractérise la vie politique italienne.

Evidemment, le cinéaste, ouvertement de gauche, ronge son frein depuis l’arrivée au pouvoir de Giorgia Meloni, leader de Frères d’Italie, un parti d’extrême-droite qui a quelques accointances avec le fascisme. Il se désespère de voir la gauche italienne incapable de se mobiliser pour proposer une alternative politique viable. Mais il en a connu d’autres, depuis l’ère Berlusconi jusqu’à la coalition cinq étoiles de Matteo Salvini. Alors, il est un peu désabusé aujourd’hui, en constatant que l’élan populaire d’après-guerre et les utopies des années 1970 se sont fracassés sur l’écueil du libéralisme économique et de la mondialisation.

Il n’est guère optimiste non plus sur l’avenir du cinéma dans ce contexte. Même moins subtils qu’autrefois, les blockbusters américains continuent de dominer le box-office et les jeunes spectateurs boudent de plus en plus les salles pour les plateformes de streaming comme Netflix. D’accord, elles peuvent mettre beaucoup d’argent dans des projets cinématographiques, mais encore faut –il  que les réalisateurs respectent leurs règles du jeu. Dans une scène assez irrésistible, Giovanni discute avec les script-doctors de Netflix, qui lui expliquent que son projet n’est pas très bon. Déjà, l’idée du cirque hongrois et les communistes italiens des années 1950, ce n’est guère vendeur. Mais en plus, cela ne va pas dans la construction du scénario : il faudrait des rebondissements toutes les dix minutes pour ne pas perdre le public de la plateforme et surtout, comme lui dit son interlocutrice, “ça manque de moments what the fuck !?!”. C’est sûr que ça ne colle pas du tout avec son cinéma, son style de narration, sa vision même du septième art. Heureusement, le cinéma Art & Essai trouve encore un peu de soutien chez nous, de l’autre côté des Alpes, mais le modèle de financement des oeuvres, surtout du cinéma d’auteur exigeant, est toujours fragile. Le mécène français de Giovanni adore son travail et semble prêt à toutes les folies pour servir sa démarche artistique, mais est-il bien fiable pour autant? S’il le lâchait, qui pourrait prendre le relai? Pas grand monde, sauf peut-être les sud-coréens, dont l’industrie audiovisuelle affiche une santé éclatante. Mais sont-ils vraiment enclins à financer un film sur le communisme italien des années 1950? Pas sûr…
Sans doute apprécieraient-ils davantage le film du cinéaste dont s’occupe Paola, une histoire de règlement de compte entre gangsters, pleine de violence et de haine. Mais là encore, ce n’est pas le genre de film que ferait Giovanni. Il préférerait sans doute mourir que de tourner un truc pareil. Cela le dépasse que le public puisse aller voir ce genre de film. Il ne comprend pas et se retrouve un peu paumé face à ce cinéma “moderne”.

La dépression guette le personnage. Mais Nanni Moretti, lui, ne compte pas se laisser abattre aussi facilement. Il n’a rien perdu son côté rebelle et utilise ses armes pour résister à la bêtise et la violence du monde : l’humour, la fantaisie, la poésie.
Le cinéma d’aujourd’hui l’agace? Qu’à cela ne tienne, il règle ses comptes avec Netflix en démontant leur politique “what the fuck !?!”. Dans une autre scène formidable, Giovanni interrompt longuement le tournage du dernier plan de son confrère – une exécution sommaire filmée en plan rapproché – en expliquant à l’équipe de tournage pourquoi, d’un point de vue éthique, on ne peut permettre de filmer ce plan ultra-violent. Pour étayer ses dires, il appelle un historien du cinéma et même Martin Scorsese en personne, au grand dam des acteurs, obligés d’attendre la fin de cette loooongue démonstration et au désespoir de Paola, lassée de tout ce cinéma, au sens péjoratif du terme. Mais Giovanni/Nanni jubile. Il retrouve un peu de pouvoir, de légitimité.

La vie privée de Giovanni prend l’eau? Rien ne l’empêche de lui donner le pouvoir de se projeter dans le passé pour donner des conseils à la version juvénile de lui-même et l’aider à conquérir le coeur de Paola. Ou de changer de projet de film en cours de route. Basta! avec le tournage de ce film historique, cette actrice forte tête en mules, et ce personnage principal qui va droit au suicide! Pourquoi ne pas réaliser à la place un film romantique et musical s’appuyant sur des chansons de variété italiennes? Il est libre de le faire et ne s’en prive pas. Pas bête : en cas de désenchantement, il suffit de voir la vie “en-chanté”, comme chez Jacques Demy, mais avec un accent italien, per favore!

La vie politique moderne l’horripile? Il se demande ce qui se serait passé si la gauche italienne, en 1956, était restée unie et solidaire? Pourquoi ne pas changer le cours de l’Histoire en plus de celle de l’histoire? Peut-être que le monde serait aujourd’hui plus joyeux, et que les manifestations ressembleraient à cette grande parade qu’il organise en fin de film, avec bon nombre de ses proches collaborateurs. A Silvio Orlando et Margherita Buy, fidèles parmi les fidèles, se joignent Laura Morante, Alba Rohrwacher, Jasmine Trinca, Giulia Lazzarini et quelques autres, venus défiler quelques instants à ses côtés, pour une grande réunion de famille, joyeuse et colorée. Ce défilé évoque le final de Tre Piani et son cortège d’anarchistes dansants, prenant d’assaut les rues de Rome pour une démonstration de force pacifiste.
Avec ce scénario tout en finesse, porté par un humour féroce, qui entremêle éléments autobiographiques et considérations politiques, on pourrait presque penser à une sorte de film-testament. Et la présence de la plupart de ses acteurs-fétiches renforce encore cette impression. Quand le cinéaste lui-même fait un petit salut de la main au spectateur, on se demande s’il s’agit d’un au-revoir ou d’un adieu. Est-ce vraiment l’ultime tour de piste du cirque Moretti, établissement ouvert en 1976? Pour le réalisateur italien, l’envie de quelques rappels est bien là, même s’il est toujours difficile de savoir de quoi demain sera fait. Tant mieux, car il livre ici un nouveau chef d’oeuvre bouillonnant de jeunesse d’esprit, inspiré et inspirant, où les coups de blues se muent en sources de seconde jeunesse.

Contrepoints critiques :

”Moretti opte pour une mise en scène très paresseuse. Il sur-occupe l’écran avec des dialogues qui n’en finissent pas, (…) Dit autrement, Nanni Moretti fait du Nanni Moretti dans toute sa splendeur, ce qui donne l’impression d’un déjà-vu. Le spectateur ressent même la fâcheuse intuition que ce cinéma-là est franchement démodé, qu’il n’intéresse pas les nouvelles générations. En cela, hélas, le projet nourrit ce qu’il dénonce pourtant fortement, à savoir la difficulté de plus en plus forte pour le cinéma d’auteur de trouver son public et de se faire financer.”
(Laurent Cambon – A voir à lire)

”Malgré un scénario trop foisonnant et un peu lâche, on est ému par de très belles idées de mise en scène comme celle où Giovanni souffle les répliques à deux jeunes gens qui se disputent, comme s’il voulait réécrire son propre passé. C’est au fond ce que raconte Vers un avenir radieux, cette foi sans faille dans le cinéma, qui a le pouvoir de réparer les blessures d’amour, de changer le cours de l’histoire, de faire marcher des éléphants en plein cœur de Rome.”
(Sophie Joubert – L’Humanité)

Crédits photos : Copyright Sacher Film

[Venise 2023] “Maestro” de Bradley Cooper

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Maestro affpro[Compétition Officielle]

De quoi ça parle ?

Du couple formé par le musicien Leonard Bernstein (Bradley Cooper) et l’actrice Felicia Montealegre (Carey Mulligan).

Pourquoi on aime allegro ma non troppo ?

Précisons le tout de suite, Maestro n’est pas vraiment un biopic consacré à Leonard Bernstein.
Bradley Cooper incarne bien le célèbre chef d’orchestre américain mais ne s’intéresse pas vraiment à l’essence de son travail. En tout cas, pas directement. Il s’intéresse plutôt à l’impact qu’a eu sa vie privée sur son travail et le rôle qu’à joué son épouse pour lui permettre de s’assumer et de donner enfin la pleine mesure de son talent artistique.

Dès le second plan, on découvre que le fameux chef d’orchestre est  homosexuel. C’est en compagnie d’un autre homme qu’il reçoit, en 1943, l’appel qui va bouleverser sa carrière – l’opportunité de remplacer son mentor, le chef de l’Orchestre Philarmonique de New York, lors d’un programme radiodiffusé dans toute l’Amérique.
Ceci ne l’empêche pas de se rapprocher de Felicia Montealegre, jeune actrice d’origine chilienne qu’il a rencontrée à une soirée. Ils se marient en 1951 et fondent une famille.
Dans l’Amérique puritaine des années 1950, et dans le milieu assez guindé de la musique classique, il vaut mieux entretenir l’idée d’une certaine « normalité » pour avoir une chance de faire carrière et ce mariage arrange bien l’image de Leonard Bernstein. Pour autant, tel que Bradley Cooper dépeint cette relation, il ne s’agit pas d’un mariage de complaisance. Leonard et Felicia éprouvent des sentiments très forts l’un pour l’autre. Ils entretiennent une grande complicité, une belle communion intellectuelle.
Mais peu à peu, la nature profonde du musicien, qu’il essayait tant bien que mal de dissimuler, reprend le dessus. Bernstein multiplie les relations extraconjugales avec d’autres hommes, prêtant le flanc à de nombreuses rumeurs. Sa carrière, désormais lancée, n’est plus en péril, mais les ragots arrivent jusqu’aux oreilles de ses proches et les affectent profondément.
Bernstein tente alors de cloisonner sa vie privée et de préserver ses secrets, mais cela affecte sa personnalité, son travail. Felicia n’a jamais été dupe sur la sexualité de son mari, mais elle souffre de le voir ainsi se torturer. Sa musique est pleine de colère, de frustration. Elle ne peut pas progresser et toucher le coeur de l’auditoire. Aussi, elle se sacrifie pour qu’il puisse enfin assumer qui il est, faire la paix avec lui-même et signer enfin des oeuvres apaisées.

En tant qu’acteur populaire, régulièrement pourchassé par les paparazzi, Bradley Cooper connaît parfaitement la difficulté de concilier vie privée et exposition publique. Et avec sa double casquette d’interprète et de cinéaste, il se retrouve sans doute dans la “schizophrénie” dont parle Bernstein, à un moment du film, dans une interview où il explique les différences entre le compositeur et le chef d’orchestre interprétant les morceaux d’autres compositeurs. C’est probablement la raison première qui l’a poussé à réaliser ce film et incarner lui-même le personnage, en poussant le curseur jusqu’à se transformer physiquement pour incarner le personnage de façon assez bluffante, même si certains idiots l’ont accusé d’antisémitisme pour avoir utilisé une prothèse nasale qu’ils estimaient caricaturale.  Sans doute le cinéaste a-t-il aussi été touché par cette belle histoire d’amour atypique, reposant plus sur la confiance, la complicité, que sur la sexualité et sur la personnalité de Felicia, qui a accepté de vivre dans l’ombre de son époux et de se sacrifier pour lui permettre de s’épanouir en tant qu’homme et artiste. La meilleure idée de Bradley Cooper est d’avoir confié le rôle à la trop rare Carey Mulligan. Elle illumine le film de son jeu tout en finesse et en pudeur. On constate d’ailleurs les progrès accomplis par le cinéaste dans ce domaine, depuis son film précédent, A Star is born, qui avait un peu la main lourde sur le mélodrame et sombrait assez facilement dans le larmoyant.

On note aussi une évolution dans les choix de mise en scène. Si Maestro est filmé de façon très classique – pour être en phase avec la musique de Bernstein, sans doute – il bénéficie aussi de quelques belles idées, notamment au niveau des transitions de séquences, particulièrement fluides et dynamiques, et des jeux de lumière, qui participent à l’impression d’une ambiance visuelle très soignée.

En bref, la symphonie est exécutée sans réelle fausse note. Pour autant, le film ne réussit jamais à vraiment nous emporter complètement. Peut-être un peu trop long, trop lisse. Et si on respecte totalement le parti-pris de ne pas du tout développer la carrière du maestro, on peut aussi trouver un peu frustrant que le cinéaste ne retienne de la grande carrière du chef d’orchestre que ses partitions pour Un Jour à New York  et West side story et laisse de côté tous les concerts où il a magnifié les oeuvres de grands compositeurs.
Le cinéaste pourra sans doute compter sur la curiosité des admirateurs de son précédent film, A Star is born, qui avait connu un certain succès en salles, mais rien ne garantit le même accueil à ce film plus difficile d’accès.

Contrepoints critiques

“Cependant, ce qui semble largement manquer à Maestro – quelque chose que A Star Is Born contient à la pelle – c’est la vitalité et la viscéralité de ces performances en gros plan. Ce n’est pas la faute de Mulligan, et certainement pas la faute de Cooper en tant qu’acteur, mais ce qu’il gagne en clarté dramatique et sous-textuelle en employant une approche de mise en scène plus classique, il le perd en spontanéité. Son approche formaliste devient trop rigide, trop restrictive.”
(Pierre Challon – Indigo buzz)

”Cooper’s impersonation of the great composer is eerily exact, and gets to the heart of the sacrifices great artists feel they need to make”
(Peter Bradshaw – The Guardian)

Crédits photos : copyright Netflix – Images fournies par La Biennale di Venezia

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