Quantcast
Channel: Musical – Angle[s] de Vue
Viewing all 43 articles
Browse latest View live

“Stars 80” de Frédéric Forestier & Thomas Langmann

0
0

Salut les p’tits clous…
Pour les plus de vingt-cinq ans, écouter de vieux tubes musicaux des années 1980 permet généralement de se replonger avec délice dans ses souvenirs de jeunesse. Avec une petite pointe de nostalgie, on se remémore ainsi ses premières boums, ses premiers baisers, ses premiers chagrins d’amour, ses vacances en famille ou entre amis, et plein d’autres évènements rythmés par la musique pop qui avait le vent en poupe. On se rappelle aussi des copains de classe, de leurs looks et du nôtre – il faut assumer – copiés sur les cadors du Top 50.
A vrai dire, c’est plutôt agréable… Mais est-ce que cela suffit à faire un film?
Oui, Stars 80, de Frédéric Forestier et Thomas Langmann, qui empile les hits français des années 1980 pendant près de deux heures.
Euh… D’accord. Reformulons la question. Est-ce que cela suffit à faire un bon film ? Non, hein…

Stars 80 - 4

Pour faire un bon film, il faut quand même un semblant de scénario, ou une sacrée dose de génie, de bons acteurs, une mise en scène avec un tant soit peu d’allure. Autant de qualités qui font cruellement défaut à Stars 80

Le scénario? Il s’inspire vaguement de la success-story de Hugues Gentelet et Olivier Kaefer et de leur RFM Party 80 : Vincent (Richard Anconina) et Antoine (Patrick Timsit), deux loosers qui gèrent tant bien que mal une société de spectacles employant des sosies de célébrités, sont sur le point de faire faillite quand ils ont l’idée un peu folle mais géniale de réunir sur scène d’anciennes gloires de la musique des années 1980 – les vraies, cette fois – et de montrer le spectacle dans tout l’hexagone, au cours d’une longue tournée.

Le premier tiers du film les envoie à la recherche de leurs vedettes, dont la plupart ont complètement abandonné la chanson, et les montre en train d’essayer de les convaincre de reprendre du service, au moins le temps de quelques concerts, juste pour voir si la mayonnaise prend.
On les voit ainsi essayer de sympathiser avec Jean-Luc Lahaye dans sa boîte de nuit – la vraie, hop, petit coup de pub au passage… – et être obligés de lire à haute voix son bouquin – hop, second coup de pub… – , aller repêcher les Début de Soirée dans les cuisines d’un vendeur de kebabs, réconcilier Peter et Sloane ou rouler à tombeau ouvert avec François Feldman. Tout ceci se veut drôle, mais ne débouche que sur des gags anémiques (la voiture qui fait des tonneaux sur “Valses de Vienne”, arf, trop bidonnant…) ou débiles.

Stars 80 - 6

Le second tiers relate la tournée et, entre deux sketchs affligeants (Gilbert Montagné, reconverti en prêcheur afro-américain qui fait un salto arrière, Cookie Dingler qui utilise une plante verte comme cache-sexe…), donne à chaque chanteur la possibilité de faire son numéro et rappeler au spectateur quel était son plus grand tube. Comme ils sont une bonne quinzaine à avoir accepté de jouer le jeu, les séquences musicales s’enchaînent presque non-stop, comme dans une anthologie de clips. Ca fait passer le temps, mais au bout d’un moment, on ressent le vide scénaristique d’un script laissé à l’abandon.
A quoi bon amorcer des pistes de situations comiques – fussent-elles dépourvues d’originalité – si c’est pour les bazarder en cours de route? Les auteurs n’exploitent pas – ou très mal – les apparitions du patron de la maison de disques qui a snobé les deux associés et leur lucrative idée de tournée, la potentielle romance entre Vincent et Sabrina (la bombasse de “Boys boys boys”, toujours sexy…) ou entre Antoine et Lio (qui ne compte pas pour des prunes non plus) ou les problèmes bancaires du duo…

Stars 80 - 3

Aucune péripétie digne de ce nom, aucune aspérité. Rien qui donne matière à rire ou à s’émouvoir. Et encore moins à s’émoustiller (quand Sabrina sort de la piscine, on ne voit plus sa poitrine sortir du soutien-gorge. Autre époque, autre moeurs…Ah, nostalgie quand tu nous tient…).
Zéro inspiration. Aucun enjeu scénaristique…

… à l’exception de la dispute peu crédible entre les deux amis, pour une histoire absurde de leadership et de notoriété, qui occupe le troisième tiers du film. Antoine et Vincent se reparleront-ils? Leur amitié sera-t-elle plus fort que le succès? 
Ah, l’insoutenable suspense! On ne peut pas deviner que le duo finira par se réconcilier devant des milliers de spectateurs, au Stade de France, pas vrai? Surtout avec “On va s’aimer” en fond musical, hein?

Stars 80 - 5

Si encore c’était correctement joué, on pourrait encore faire semblant d’y croire. Mais non, même pas…
Anconina et Timsit passent 90% du film à se sourire bêtement et se toper dans la main, sans doute contents de la bonne blague qu’ils sont en train de jouer aux spectateurs. Bruno Lochet, qui joue le chauffeur (de bus/de salle) retombe dans du Deschiens de base, la poésie décalée en moins. Eric Naggar pète un câble en banquier fan de Johnny et de… Sabrina (on peut comprendre…). Venant de la part d’acteurs professionnels bien rôdés, c’est assez affligeant.
On sera un peu plus indulgents avec les chanteurs, moins habitués à déclamer des répliques qu’à chanter, mais force est de constater qu’ils sont de bien piètres comédiens. Mention spéciale, dans la nullité, à Jean-Luc Lahaye, qui semble vraiment se croire irrésistible en parrain de boîte de nuit aimant les(très) jeunes femmes, dans un pathétique numéro d’autodérision. Et aussi à Gilbert Montagné, qui joue totalement faux et semble ânonner son texte. Bon OK, il est aveugle et n’a pas pu lire son texte, mais on aurait pu lui écrire ses répliques en braille, non?

Cela dit, sa scène de gospel est la seule à venir mettre un peu de vie dans ce film plan-plan. Avec la scène où les artistes, dépités par leur premier concert devant une salle vide, reprennent confiance en transformant leur dîner d’après-spectacle en boeuf d’enfer, soulevant l’enthousiasme des clients du restaurant. Là, le charme opère un peu. Succinctement, hélas.       

Stars 80 - 2

Deux ou trois scènes potables pour près de deux heures de film, le bilan est bien maigre, d’autant que la mise en scène du duo Forestier/Langmann ne relève en rien le niveau. En même temps, on n’attendait rien de bon du duo coupable de l’infâme Astérix aux jeux olympiques… 
Certes, on ne s’ennuie pas vraiment, avouons-le. Et certains se laisseront emporter par la musique et les chansons, omniprésentes. Il paraît qu’il y a de l’ambiance à certaines séances, avec des spectateurs qui chantent en même temps que les artistes… Mais bon, si c’est juste pour ça, il y a les karaokés. Ou la possibilité d’aller voir les artistes jouer en live, au cours des tournées RFM Party 80. C’est quand même plus sympa…
Enfin, pour ceux qui aiment, hein. Parce que, si “c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes”, il faut bien dire que la soupe reste toujours de la soupe… 
 

_______________________________________________________________________________

Stars 80 Stars 80
Stars 80

Réalisateurs : Frédéric Forestier, Thomas Langmann 
Avec : Richard Anconina, Patrick Timsit, Bruno Lochet, Sabrina, Lio, Jean-Luc Lahaye, Gilbert Montagné,…
Origine :France
Genre : karaoké pas OK 
Durée : 1h50

Date de sortie France : 24/10/2012
Note pour ce film : ●●○○○○

Contrepoint critique : Ecran large

______________________________________________________________________________


“Les Misérables” de Tom Hooper

0
0

Chalut les humains,

Je le reconnais, c’est sans enthousiasme que je suis allé voir Les Misérables, le nouveau film de Tom Hooper.
J’avoue que je ne suis pas fan des shows musicaux de Broadway – à part “Cats”, bien sûr, et les vieilles revues des Ziegfield folies – et ceux qui fréquentent assidument ces colonnes savent que les blockbusters américains sans âme sont loin d’être ce que nous préférons au cinéma. Or ce film-là cumule les deux “qualités”.
Je n’étais pas non plus très chaud à l’idée de voir le chef-d’oeuvre de Victor Hugo triplement massacré. Une première fois par Alain Boublil et Jean-Marc Natel, dans la version originale française de la comédie musicale. Une seconde fois dans la version anglaise, avec les noms des personnages prononcés bizarrement – Jaunevaljane, Javeurte, Faune-tine, Queçette, les Tinardire… Et une troisième fois remixée à la sauce sirupeuse hollywoodienne.
Enfin, j’avais lu et entendu tant d’horreurs sur le casting (foireux), le scénario (bidon), les décors (en carton), la mise en scène (en carton aussi) que la perspective de cette sortie cinéma était aussi engageante qu’une visite du Parc Saint-Paul sous la pluie.
L’avantage, c’est qu’avec tout ça, je ne risquais pas d’être déçu. Au pire, c’était aussi nul que prévu, et je pouvais encore être agréablement surpris.

Les Misérables - 6

Les premières minutes laissent pourtant à penser qu’on s’oriente vers la première option.
On y voit des bagnards – plutôt en forme au vu de leurs conditions de vie – tirer un bateau tout en poussant la chansonnette. Curieux? Non, normal, car il convient ici de préciser que le film ne contient aucun dialogue parlé. Tout le film est “ en chanté”, comme chez Jacques Demy, la grâce en moins, l’emphase en plus.
La caméra se fixe sur l’un d’entre eux. C’est le héros, Jean Valjean, ah pardon “Jaunevaljane”. Il est incarné par Hugh Jackman. Un peu frêle pour le rôle, comparé à un Jean Gabin, un Harry Baur ou un Lino Ventura, mais au moins le garçon a commencé par la comédie musicale et il est capable de chanter à peu près correctement. Ce qui n’est pas le cas de son partenaire, Russell Crowe – Javert ou plutôt “Javeurte” – qui, non content de chanter comme une casserole, est à peu près aussi expressif qu’une poêle à frire. Il est loin de faire ressortir la hargne et le côté obsessionnel du personnage créé par Hugo. Cela s’appelle une erreur de casting, et une belle! 
Javert annonce à Valjean qu’il peut quitte le bagne. Il a purgé sa peine : 19 ans de travaux forcés pour avoir volé un quignon de pain. Ca fait cher la baguette… Mais pour le policier, qui vole un oeuf vole un boeuf, qui vole un pain vole un moulin et un criminel restera toujours un criminel. Aussi, Valjean restera en liberté conditionnelle, obligé d’aller chaque semaine se présenter aux autorités, dans un endroit de France différent. Et sur ses papiers d’identité, il a été notifié qu’il est un homme dangereux. Ce qui le prive de travail et l’oblige soit à mendier, soit à voler. Pire que le bagne.

Les Misérables - 5

Première partie du film, premier look de la mort pour Hugh Jackman : vêtu d’un sac à patate, le crâne rasé par un coiffeur psychopathe, une barbe mal taillée façon Jésus. Ca tombe bien, c’est dans la Maison de Dieu qu’il va trouver sa nouvelle voie (mais pas sa nouvelle voix, ça pique encore un peu…).
Un prêtre lui offre le gîte et le couvert pour la nuit. Valjean le remercie en piquant l’argenterie. Et quand les policiers le surprennent avec son butin, quelques mètres plus loin, il pense qu’il est bon pour retourner illico au bagne. Mais le bon curé dit aux gendarmes de le relâcher, qu’il lui a donné tous ces objets. Il lui rend la liberté tout en lui offrant de quoi démarrer une nouvelle vie. Valjean est touché par la grâce. Il jure à Dieu de prendre définitivement le droit chemin et de faire le bien. Il se déleste de son identité de forçat sans le sou et devient Monsieur Madeleine. Huit ans plus tard, on le retrouve à la tête d’une usine textile dans le Nord de la France et Maire de la localité… 

Les Misérables - 8

A ce point du récit, j’avoue, j’étais prêt à déserter la salle, vaincu par les beuglements en continu, les costumes ringards, la mise en scène plate et le trip moralisateur religieux à l’américaine. Et puis là, miracle. Un mouvement de caméra aérien – ça tranche un peu avec les gros plans dont abuse Tom Hooper – une voix qui sonne juste – ça tranche avec celle de Russell Crowe – et un visage expressif – idem.
Anne Hathaway apparaît, dans le rôle de Fantine, une ouvrière de l’usine de Valjean. qui ne ménage pas sa peine pour survivre et payer la pension où elle a laissé sa fille, Cosette. Sa beauté lui vaut de subir les avances du contremaître et la jalousie de ses collègues. Elle est jetée dehors sans ménagement et entame une vraie descente aux enfers. Enfin, pour elle, parce que pour nous, c’est plutôt le Paradis : ces scènes-là sont les plus belles, les plus intenses du film. Je pense surtout à la séquence où Anne Hathaway donne tout ce qu’elle a, cris et larmes compris, sur “I dreamed a dream”. Brrr… Rien que d’y repenser, j’en ai le poil tout hérissé. Non, franchement, s’il n’y a qu’une personne à ne pas être “misérable” dans ce film, c’est bien elle! Elle est magnifique et mériterait bien l’Oscar du meilleur second rôle féminin. 
Toute cette partie, mieux jouée, mieux chantée, plus émouvante, redonne du peps au récit. Le drame peut cèder la place à un épisode plus comique avec la présentation de Cosette et des Thénardier (Helena Bonham Carter et Sacha Baron-Cohen). Ca ressemble à du sous-Burton (dans Sweeney Todd) mais cela fonctionne relativement bien et c’est instructif : on y apprend comment fabriquer un substitut de steak haché avec tout un tas de saloperies dérobées à droite à gauche (dont une jambe de bois), ou comment les misérables du XIXème siècle ont inventé la recette des lasagnes Findus façon Spanghero.

Les Misérables - 9

Nouveau saut narratif. Valjean a fui avec Cosette et, comme promis à Fantine, s’est bien occupée d’elle pendant quelques années. Cela se voit : la petite blondinette joufflue et crasseuse s’est transformée en Amanda Seyfried, assez miaou-miaou, je dois dire, et dotée elle aussi d’une belle voix.
Valjean, lui, a moins bien encaissé le choc. Look de la mort numéro 2 pour Hugh Jackman, qui ressemble ici au Charles Ingalls de “La petite maison dans la prairie”… Javert est toujours là, cherchant inlassablement son vieil ennemi, les Thénardier aussi. Et un nouveau personnage entre en scène, Marius (Eddie Redmayne) un gosse de riche rebelle qui fraye avec les révolutionnaires opposés au Roi Louis-Philippe…

Les Misérables - 3

Le film prend alors un tour plus romantique, avec Cosette qui aime Marius, qui l’aime en retour, mais qui est aussi aimé d’Eponine (Samantha Barks, pas mal non plus). Et aussi un tour plus politique avec la description de la révolte de juin 1832, qui opposa, sur les barricades de la rue Saint-Denis, les révolutionnaires et les policiers. Oh, cela ne va pas bien loin tout de même, le public-cible (américain) se fichant bien des enjeux politiques franco-français dépeints dans le récit. Ce qui compte surtout, c’est la dimension tragique des évènements, qui permet à Tom Hooper de se lâcher au niveau du pathos et des effets mélodramatiques, pour le meilleur et surtout pour le pire. Pour quelques beaux moments, comme Eponine chantant sous la pluie “On my own”, d’autres séquences sont ratées, comme la sortie de Gavroche (mais c’est la faute à Voltaire…), l’ultime face-à-face entre Valjean et Javert (mais c’est la faute à Russell) ou la traversée des égouts de Paris (Look de la mort numéro 3 pour Hugh Jackman, couvert de merdasse).

Les Misérables - 2

L’ensemble se termine par plusieurs épisodes successifs un brin longuets, où ressurgissent bons sentiments et bondieuseries, où Hugh Jackman ressemble à un raton-laveur malade (look de la mort numéro 4) et où tous les fantômes se mettent à chanter de concert. Rideau. Silence. Ouuuuuuffff! Ca fait du bien quand ça s’arrête!

A l’arrivée, mes sentiments sur le film sont assez mitigés. Ne m’attendant à rien de bon, je suis plutôt agréablement surpris – mais c’est relatif, hein.  
J’ai trouvé certaines séquences totalement insupportables, mais j’ai aussi reçu des petits moments de grâce pure (Merci Anne Hathaway). Le film est assez long, mais suffisamment riche en péripéties pour que l’intérêt du spectateur soit maintenu tout du long (Merci Victor Hugo). Bien sûr, on est loin de la densité et de la profondeur du texte original, mais il faut aussi reconnaître que, globalement, la narration est assez fidèle au roman. Et si le “tout chanté” m’a d’abord tapé sur le système (Merci Russell Crowe), j’ai fini par m’y faire et me laisser porter par l’histoire.
Dans l’ensemble, c’est très regardable et les amateurs de (cette) comédie musicale devraient y trouver leur compte.

Les Misérables - 7

Bon d’accord, il y a des erreurs de casting et quelques chants cacophoniques, surtout chez ces Messieurs (A la décharge des acteurs, tout a été enregistré en prise directe, ce qui n’est pas simple). Mais le vrai point noir se situe au niveau de la mise en scène de Tom Hooper, ou plutôt de l’absence de mise en scène. Le cinéaste accumule les plans fixes ou les petits mouvements de caméra, et abuse des gros plans. On peut comprendre son parti-pris. Il part d’une oeuvre théâtrale, donc circonscrite à l’espace restreint que constitue la scène. Aussi, pour rester fidèle à l’oeuvre originale, la caméra filme également dans un petit périmètre. Ca se défend sur le principe, mais dans les faits, cela plombe le film. Un tel sujet véhicule un souffle épique et romantique, qui, à l’écran, aurait pu être restitué par des mouvements de caméra amples, des plans-séquences, des panoramiques, des prises de vues aériennes. En s’en privant, Hooper perd en intensité dramatique et en beauté plastique. Quand on voit, par exemple, comment Joe Wright a contourné le cadre théâtral sur Anna Karenine, cette adaptation plan-plan paresseuse des Misérables ne peut que souffrir de la comparaison et nous laisser quelques regrets.

Bon, faut que je vous laisse, j’ai des vocalises à faire. J’ai demandé à Anne Hathaway de remettre son costume de Catwoman pour qu’on puisse monter ensemble une version ciné de “Cats”. Mia-ah-ah-Ahahahahah…

Plein de ronrons,

Scaramouche

Chat-sette

_______________________________________________________________________________

Les Misérables Les Misérables 
Les Misérables

Réalisateur : Tom Hooper 
Avec : Hugh Jackman, Russell Crowe, Anne Hathaway, Amanda Seyfried, Eddie Redmayne, Samantha Barks
Origine : Etats-Unis
Genre : Jaunevaljane vs Javerte, le musical
Durée : 2h30
Date de sortie France : 13/02/2013
Note pour ce film : ●●●○○○
Contrepoint critique : Après la séance

______________________________________________________________________________

“Inside Llewyn Davis” d’Ethan et Joel Coen

0
0

Chalut les humains,

Inside Llewyn Davis, le nouveau film des frères Coen, suit les tribulations d’un musicien folk, sorte d’artiste incompris,dans le New York des années 1960 et…
Quoi? Non, il n’y a pas d’erreur, c’est bien à moi qu’incombe la tâche d’écrire cette critique. Je comprends votre stupeur. D’habitude, c’est notre rédac-chef qui s’occupe de cette catégorie de cinéastes, alors qu’on me cantonne généralement aux films pour enfants et aux oeuvres mettant en scène mes congénères félins. Mais c’est justement cette deuxième expertise qui m’autorise à user de la plume sur ce nouveau long-métrage des deux frangins… Car c’est bien une histoire de chat qui sert de fil conducteur à ce récit.

inside llewyn davis - 3

Le matou en question appartient aux Gorfein, un couple de bobos new-yorkais amateurs de musique folk. Souvent, en revenant de concerts donnés dans les bars de Greenwich Village, ils acceptent d’héberger Llewyn Davis (Oscar Isaac), un musicien sans le sou qui tente, en vain, de vivre de son art dans le New York des années 1960. Mais un matin, alors qu’il s’apprête à quitter le domicile de ses amis, le chat facétieux se fait la malle. Llewyn parvient à le rattraper, mais, n’ayant pas les clés de l’appartement des Gorfein, il ne peut pas y déposer le félin.

Aussi, il l’emmène chez deux de ses copains de Greenwich Village, Jean (Carey Mulligan) et Jim (Justin Timberlake), musiciens eux aussi. Mais il tombe au mauvais moment. Jean est furieuse. Elle en a marre de le voir squatter leur canapé, à intervalles réguliers, marre de ses visites à l’improviste, marre de le voir s’empêtrer dans sa loose. Et puis, gros motif d’agacement pour Jean : elle est enceinte. Potentiellement de Llewyn, qui, un soir, a réussi à glaner un peu plus que de l’hospitalité de la part de la séduisante chanteuse… Hors de question de garder cet enfant non-désiré. LIewyn va devoir lui payer l’avortement.  Et pour cela, il va lui falloir trouver de l’argent. Mais comment faire quand vos disques ne se vendent pas, que votre agent est un escroc, et que votre musique est jugée trop simple pour plaire au public? Pas simple…

inside llewyn davis - 6

Surtout quand il faut encore et toujours chercher ce chat, qui a pris la mauvaise habitude de se carapater à la première occasion. Ah ça, on aime notre indépendance, c’est connu!
Et puis, c’est normal que ce chat ait envie de voyages avec le nom que lui ont donné ses maîtres : Ulysse, comme le héros de “L’Odyssée”. Et comme le héros de O’Brother, autre film des frères Coen…

Inside Llewyn Davis et O’Brother se ressemblent à bien des égards. Ils sont tous deux articulés autour de l’idée d’un voyage, d’un cheminement initiatique permettant aux personnages de mûrir et de trouver leur place dans le monde. Et ils utilisent tous deux de la musique traditionnelle américaine comme bande-originale. La musique country entendue dans O’Brother a d’ailleurs beaucoup inspiré la folk des années 1950/1960. Il y a une filiation entre les deux films. Mais le style est radicalement différent. Le burlesque outrancier de O’Brother cède ici la place à une comédie plus intimiste, qui se teinte progressivement de nuances sombres et bascule quasiment dans la fable fantastique, un peu comme dans Barton Fink et A serious man.

inside llewyn davis - 2

Llewyn s’engage sur une pente savonneuse. Il va de mauvaise surprise en désillusion, tant sur le plan sentimental que sur le plan professionnel. Et les choses ne semblent pas près de s’arranger, le musicien s’ingéniant à multiplier les squats foireux et mauvais choix. On le voit par exemple, refuser les droits d’auteur d’une chanson qui deviendra plus tard un tube, pour pouvoir payer l’avortement de Jean…

Finalement, un voyage mouvementé en direction de Chicago, à la rencontre d’un grand ponte de l’édition musicale, achève ses dernières illusions et l’incite à tout plaquer, à ranger définitivement sa guitare pour reprendre sa vie de marin pas marrante. Fini de passer son temps à courir après le succès comme on court après un chat fugueur, place à l’amère réalité et “La Mer” réalité… Hop, larguez les amarres!

inside llewyn davis - 4

Vraiment? Non, parce que Llewyn est semblable au chat des Gorfein. C’est un être insaisissable, un vagabond qui part sans cesse à l’aventure et qui finit toujours par revenir au bercail. Et ce bercail, pour Llewyn, c’est la musique folk. Il a ça dans le sang et dans l’âme. Pas la musique folk “commerciale”, non. La musique folk des écorchés vifs, des miséreux, des gens qui mènent une vie de bohème.
Bien sûr, il mène une vie difficile, il se prend des coups, il frôle même la mort, parfois. Mais, comme ce chat, il retombe toujours sur ses pattes…

Les Coen aussi retombent toujours sur leurs pattes. Ce nouveau long-métrage, inspiré librement de la vie du guitariste Dave Von Ronk, leur permet de signer une jolie comédie intimiste, tout en finesse, portée par une bande-son entêtante.

inside llewyn davis - 7

Certains feront peut-être la fine bouche en regrettant que le film ne soit pas au même niveau que leurs chefs d’oeuvres, comme Barton Fink, A Serious man, Fargo ou The Big Lebowski. Mais avec ma mauvaise foi féline habituelle, je dis à ceux-là qu’un film guidé par un chat est forcément un grand film, et que ceux qui oseront prétendre le contraire s’exposent à un coup de patte griffu.
Sinon, pour des arguments plus convaincants, on peut quand même dire que Inside Llewyn Davis bénéficie de la mise en scène élégante des deux cinéastes, d’un casting impeccable, Oscar Isaac et Carey Mulligan en tête, d’une image sublime et d’une ambiance musicale tout aussi réussie.
Que demande le peuple?

Bon, il faut que je vous laisse. Je me carapate à New York, histoire d’échapper à la fureur de mon maître quand il découvrira que j’ai fait mes griffes sur sa guitare…

Plein de ronrons,

Scaramouche

inside-llewyn-davis-affiche

_______________________________________________________________________________

inside llewyn davis Inside Llewyn Davis
Inside Llewyn DavisRéalisateurs : Ethan Coen, Joel Coen
Avec : Oscar Isaac, Carey Mulligan, Justin Timberlake, John Goodman, F. Murray Abraham
Origine : Etats-Unis
Genre : chacun cherche son chat
Durée : 1h45
Date de sortie France : 06/11/2013
Note pour ce film : :●●●●●
Contrepoint critique : Libération

______________________________________________________________________________

“La Reine des neiges” de Jennifer Lee & Chris Buck

0
0

Les princesses Disney ont changé. Elles n’attendent plus qu’un jour leur prince vienne.
C’est le cas pour Elsa, future reine du royaume d’Arendelle, et de sa sœur Anna.

La Reine des neiges - 3

Seulement Elsa est née avec un terrible pouvoir, celui de transformer en glace tout ce qui l’entoure dès qu’elle perd le contrôle de ses émotions. Un terrible pouvoir qu’il l’a contrainte à vivre cachée toute son enfance.Tout bascule le jour de son couronnement quand, dans un accès de colère, Elsa plonge le royaume dans un hiver éternel avant de s’enfuir.
C’est alors sa sœur Anna qui se lance à sa poursuite, aidée de Kristoff, de son renne Sven et d’Olaf, un petit bonhomme de neige à l’humour rafraichissant.

La Reine des neiges - 2

Jennifer Lee et Chris Buck, les deux réalisateurs, signent ici une belle fable enneigée, toute en légèreté, inspirée librement du très sombre conte d’Andersen. La firme de Mickey réussit à introduire un souffle de noirceur et une mélancolie féérique à son adaptation. Le tout crée un conte enchanteur, mélange de modernité et de tradition.

Ainsi, le mal n’est plus incarné par une infâme belle-mère ou une sorcière maléfique, mais se trouve maintenant caché au plus profond des cœurs et surgit lorsque la peur ou la colère prennent le dessus. La véritable épreuve est alors d’apprendre à dépasser ses propres failles pour grandir.

La Reine des neiges - 4

Mais La Reine des Neiges est avant tout un spectacle d’une beauté givrée, qui brise les stéréotypes amoureux et  détourne le cliché du prince charmant, qui n’est plus le sauveur attendu de princesses passives.
Cette jolie histoire héroïque est un hymne à la liberté et à l’affirmation de soi. C’est le chemin d’une princesse bercée par de doux rêves qui se révèlent idéalisés et celui d’une autre,  prisonnière de sa solitude et de ses désillusions, qui apprend à être elle-même.
La scène durant laquelle Elsa construit son palais de glace en dansant est ainsi d’une poésie folle.

Disney retrouve, grâce aux princesses du royaume d’Arendelle, toute sa magie d’antan, éblouissante et enchanteresse.

_______________________________________________________________________________

La Reine des neiges La Reine des neiges
Frozen

Réalisateurs :  Chris Buck, Jennifer Lee
Avec les voix de: Kristen Bell, Idina Menzel, Jonathan Groff (VO) Emmylou Homs,Anaïs Delva, Dany Boon (VF)
Origine : Etats-Unis
Genre :  ice show 
Durée : 1h42
Date de sortie France : 04/12/2013
Note pour ce film :●●●●
Contrepoint critique :

______________________________________________________________________________

“La Reine des neiges” 2ème avis

0
0

Chalut les humains,

Chattica! Chattica! Je lance un cri de révolte!
Avant, sur ce site j’avais la lourde tâche de m’occuper des critiques de films pour enfants, notamment les films d’animation. Une mission dont je m’acquittais avec mon habituelle élégance de chat. Mais ça, c’était avant…
Depuis que la petite nouvelle est arrivée à la rédaction, il n’y en a plus que pour elle. Laura par ci, Laura par là, Laura gni gniii, Laura gna gnaaa…
Et hop, c’est comme ça que la critique de La Reine des neiges m’est passé sous la truffe. C’est ballot, car c’est juste le meilleur Disney depuis des lustres. Il aurait mérité d’être loué par le plus talentueux des chroniqueurs d’Angle[s] de vue : ma féline personne.

La Reine des neiges - 5

Mais bon, je reconnais que la petite s’en est bien sorti. Elle a dit l’essentiel de ce qu’il fallait dire sur le film. Notamment que c’est un Disney à la fois classique – une histoire de princesse, adapté (très librement) d’un auteur de conte de fées à succès (ici, Hans-Christian Andersen), avec seconds rôles rigolos, numéros musicaux à gogo – et moderne – le mythe machiste du prince charmant en prend pour son grade et les sempiternelles opposition entre bons et méchants sont remplacées par les tourments intérieurs des personnages, moins infaillibles et donc plus humains.

La Reine des neiges - 9

Cependant, elle n’a pas du tout parlé de la technique. Or c’est l’un des points forts du film. Depuis que John Lasseter a pris les commandes de Disney en 2006, il a su insuffler aux équipes d’animateurs et de designers l’envie de constamment dépasser leurs limites, d’atteindre des niveaux d’exigence toujours plus relevés, comme à la grande époque de Pixar. Il a su apporter son expertise dans le domaine de l’animation assistée par ordinateur (la série des aventures de la Fée Clochette, par exemple) sans délaisser pour autant l’animation 2D traditionnelle (La Princesse et la grenouille). Il a utilisé des effets de relief (Volt) et il a renoué avec la tradition des grands Disney de Noël, ceux que petits et grands enfants attendent avec impatience à la veille des fêtes (Raiponce) tout en essayant d’explorer d’autres voies, d’autres univers (Les Mondes de Ralph).

La Reine des neiges - 6

La Reine des neiges profite de tout le travail technique effectué au cours des dernières années, tant chez Disney que chez Pixar. L’esthétique du film est à tomber : Les décors sont somptueux, notamment le palais de glace créé par la princesse Elsa qui en met plein la vue avec ses innombrable reflets. Les personnages sont adorables, dans la lignée de ceux de Raiponce mais en beaucoup plus expressifs encore. Le niveau de détails, la finesse des expressions, laisse pantois. Même Olaf, le bonhomme de neige bavard qui fait office d’acolyte de l’héroïne, réussit à nous faire fondre, si j’ose m’exprimer ainsi.
Quant à l’animation, elle est évidemment impeccable et les cinéastes s’autorisent même des mouvements de caméra dignes des plus belles productions hollywoodienne, à l’image de ce plan-séquence aérien qui annonce le couronnement de la princesse Elsa.

La Reine des neiges - 8

Outre cet aspect visuel époustouflant, le film se distingue aussi par sa partie musicale. Contrairement à certaines productions passées du studio, les chansons ne sont pas juste des intermèdes gnangnan dans le récit, destinés à rafler l’oscar technique de la meilleure chanson. Le film a été conçu comme une comédie musicale de Broadway moderne, avec des thèmes associés aux personnages, caractérisant leurs états d’âme, des performances vocales qui évoluent en parallèle pour se rejoindre harmonieusement, comme dans le magnifique morceau “For the first time in forever”, et une chanson qui devrait s’imposer comme un classique intemporel : “Let it go”.

La Reine des neiges - 7

Bref, je plussoie l’avis de ma camarade : le Disney cru 2013 est un véritable enchantement, dont on sort avec de la magie plein les yeux et de douces harmonies plein les oreilles.

Bon, il faut que je vous laisse, car avec cette vague de froid, je vais aller me décongeler auprès du radiateur bouillant. Oh! Je ne suis pas un tigre des neiges, moi. J’ai besoin de chaleur. LET IT GO, LET IT GOOOOOOO…

Plein de ronrons,

Scaramouche
 

Scaramouche neige

“Jack et la mécanique du coeur” de Mathias Malzieu et Stéphane Berla

0
0

Les cinéphiles ayant grandi dans les années 1980/1990 ont forcément été marqués, d’une façon ou d’une autre, par les films de Tim Burton et des cinéastes partageant son univers si particulier, comme Henry Selick. Mais certains, comme Mathias Malzieu, ne s’en sont jamais remis…
On avait pu s’en rendre compte en découvrant son roman, “La mécanique du coeur” (1), dont chaque page constituait un vibrant hommage au créateur d’Edward aux mains d’argent, puis dans l’album qu’il en avait tiré, avec son groupe, Dionysos (2). Et c’est donc tout à fait logiquement que ce récit fantastique se retrouve aujourd’hui sur grand écran, sous la forme d’un film d’animation “gothique”, dans l’esprit, graphiquement, des oeuvres de Burton (Les noces funèbres, Frankenweenie) et de Selick (Coraline, L’Etrange Noël de Monsieur Jack).

Jack et la mécanique du coeur - 7

Comme dans le roman, l’histoire commence à Edimbourg, à la fin du XIXème siècle. La nuit “la plus froide du monde”, une jeune femme enceinte brave la tempête de neige et escalade la colline pour rejoindre la demeure du Docteur Madeleine. A peine arrivée, elle accouche d’un petit garçon, Jack, mais le coeur de ce dernier reste malheureusement gelé. La sage-femme, qui s’avère être également une sorte de sorcière, parvient à sauver le nouveau-né en remplaçant son coeur par un mécanisme d’horlogerie. Jack pourra vivre tout à fait normalement à condition de remonter son coeur chaque jour, et d’éviter toute émotion forte, telles que la colère ou… l’amour. 
Dix ans plus tard, le garçon est toujours en parfaite santé. Il vit entouré de l’affection de Madeleine, qui l’a adopté, et de son chat noir facétieux. Il est parfaitement heureux, mais, à son âge, on a envie de découvrir le monde, d’aller à l’école et se faire des amis. Madeleine est finalement obligée de céder et de l’emmener en ville. 
Dès sa première sortie, le petit coeur mécanique de Jack s’emballe : il tombe sous le charme de Miss Accacia,  une petite chanteuse de rue, et rien ne sera plus jamais comme avant. Prêt à tout pour la retrouver, Jack va entamer une longue et périlleuse quête qui va le mener des brumes d’Edimbourg jusqu’au pied de l’Alhambra, en Espagne. 

Jack et la mécanique du coeur - 2

Difficile de ne pas faire le parallèle entre le destin de Jack et celui d’Edward aux mains d’argent. Les deux garçons sont nés grâce au talent d’inventeurs de génie, au sommet d’une colline, et voient leurs amours contrariés par leur différence physique. On pense aussi à l’univers de Beetlejuice, à travers la frénésie baroque de la fête foraine de l’Alhambra, mais aussi à Sweeney Todd, de par le romantisme gothique qui exhale des rues embrumées d’Edimbourg ou la présence d’un inquiétant tueur fou, lors du voyage en train où Jack traverse l’Europe à la recherche de Miss Accacia. Même le rival de Jack, le massif et ténébreux Joe, a des faux-airs de Johnny Depp, l’acteur-fétiche de Tim Burton…
Le film est bel et bien un hommage appuyé aux oeuvres du cinéaste américain.

Jack et la mécanique du coeur - 3

Mais l’ombre de Tim Burton n’est pas la seule à planer sur cette jolie fable fantastique. On pense aussi à plusieurs écrivains britanniques, de Lewis Carroll à Mary Shelley, et à d’autres cinéastes à l’imagination aussi débordante, comme Hayao Miyazaki ou Terry Gilliam.
Il y a d’ailleurs, dans le périple de Jack à travers l’Espagne, une référence évidente à “Don Quichotte de la Manche”, le roman de Cervantes  que Gilliam essaya d’adapter au cinéma, mais dont le tournage se transforma en cauchemar, au point que le cinéaste et ses producteurs arrêtent les frais à mi-parcours (3). Et ce n’est sans doute pas un hasard si Jean Rochefort, qui aurait dû incarner le chevalier espagnol chez Gilliam, prête sa voix à un des compagnons de route de Jack… Il y a, à l’intérieur de Jack et la Mécanique du coeur, le fantôme de ce film qui ne s’est jamais fait.

Jack et la mécanique du coeur - 8

Autre fantôme qui vient hanter le film de sa voix rocailleuse, celui d’Alain Bashung. Le rocker avait participé à l’album de Dionysos, pour la chanson “La panique mécanique”, qui a été conservée pour le film. On le retrouve donc à l’écran, indirectement. Magie du cinéma, qui permet de ressusciter les morts, temporairement, et de réaliser les rêves brisés.
Car le film, avant d’être un hommage à Burton, Gilliam et autres, est avant tout une formidable déclaration d’amour au cinéma, trait d’union entre tous les arts, alliant la puissance de la littérature à la beauté picturale, le jeu d’acteurs à la musique et au chant. Et permettant, par le biais des effets spéciaux, de somptueuses illusions. Là encore, ce n’est pas un hasard si, durant son périple, Jack croise la route de Georges Méliès, le père des trucages cinématographiques…

Jack et la mécanique du coeur - 5

Plus d’un siècle a passé depuis que les premiers spectateurs des films de Méliès ont découvert, émerveillés, la puissance poétique des images animés. Et nous, spectateurs du XXIème siècle, arrivons encore à nous enthousiasmer pour les oeuvres que l’on nous propose aujourd’hui, et notamment pour celle de Mathias Malzieu et Stéphane Berla, qui accumule les moments de grâce.
On pense à la scène de la rencontre entre Jack et Miss Accacia, où tout, des textes subtils de Malzieu à la musique de Dionysos, en passant par la beauté diaphane des personnages dessinés par Nicoletta Ceccoli et les décors, gothiques à souhait, viennent flatter l’oeil et l’oreille. Ou au dénouement, beau à pleurer, où Jack escalade des flocons de neige pour rejoindre les étoiles.

Certains feront sans doute la fine bouche devant l’animation, moins fluide, il est vrai, que les productions Pixar ou Dreamworks. Mais il s’agit d’un parti-pris de mise en scène assumé, pour rendre hommage à l’animation en “stop-motion” chère à Burton et Selick. Et cette technique participe à la poésie qui se dégage du film.

Jack et la mécanique du coeur - 6

D’autres auront peut-être du mal avec les chansons, dont le style est radicalement différent des bluettes musicales qui accompagnent habituellement ce genre de film. Ici, les titres, alternant des textes en français, en anglais et en espagnol, portent la patte singulière de Dionysos et de leurs “invités” – Grand Corps Malade, Olivia Ruiz, Emily Loizeau ou Arthur H, entre autres. Des morceaux inégaux, c’est vrai, mais parmi lesquels on trouve quelques pépites particulièrement entêtantes.

Mais ce qui risque le plus de rebuter les spectateurs, c’est l’ambiance générale du film, teintée d’amertume et de mélancolie. Comme chez Burton… Sauf que là encore, Mathias Malzieu a pris le risque de refuser les conventions. Il aborde frontalement des sujets graves – l’abandon maternel, la cruauté des enfants entre eux, dans les cours de récréation, la maladie, la mort – qui pourraient rebuter une partie du grand public. Mais c’est justement là sa grande force. Car il le fait avec beaucoup de délicatesse, cultivant l’art de la métaphore poétique et offrant au spectateur différents niveaux de lecture possibles.
Ainsi, chacun sera libre d’interpréter à sa façon la fin du film, en fonction de sa sensibilité…

Jack et la mécanique du coeur - 9

Pour nous, Jack et la mécanique du coeur constitue une divine surprise. Nous nous sommes laissé happer par l’histoire d’amour tragique de Jack et Miss Accacia, par le destin du Docteur Madeleine et son chat à lunettes, par tous ces personnages secondaires atypiques. La beauté des images et la poésie des ritournelles de Dionysos & co ont fait le reste. 
Peut-être que, comme Mathias Malzieu, nous sommes particulièrement sensibles à ce type d’univers gothique et enchanteur… En tout cas, nous avons eu le coup de coeur organique pour ce petit coeur mécanique, et nous vous recommandons donc de découvrir au plus vite ce joli conte au cinéma.
 

(1) : “La Mécanique du coeur” de Mathias Malzieu – éd. Flammarion
(2) : “La Mécanique du coeur” de Dionysos – ed. Barclay Records/Universal Music France   
(3) : Les mésaventures de Terry Gilliam sur son Homme qui a tué Don Quichotte ont été relatées dans Lost in la Mancha. Il se murmure que le cinéaste est actuellement en train d’essayer de relancer le projet.
 

_______________________________________________________________________________

Jack et la mécanique du coeur Jack et la mécanique du coeur
Jack et la mécanique du coeur 

Réalisateurs :  Mathias Malzieu, Stéphane Berla
Avec les voix de : Mathias Malzieu, Olivia Ruiz, Grand Corps Malade, Jean Rochefort, Emily Loizeau
Origine : France
Genre : hommage à Burton, Gilliam et Méliès 
Durée : 1h34
Date de sortie France : 05/02/2014
Note pour ce film :●●●●●●
Contrepoint critique : Studio Ciné Live

______________________________________________________________________________

“We are the best!” de Lukas Moodysson

0
0

Stockholm, au début des années 1980…
Tout commence quand Bobo (Mira Barkhammar) et Klara (Mira Grosin), deux collégiennes au look de garçon manqué, rejetées par les autres élèves, décident de crier leur colère – et accessoirement, leur dégoût du disco, alors en plein essor –  par le biais du rock punk.
Elles réussissent à négocier la mise à disposition du local de la MJC et écrivent un texte rebelle contre les professeurs de sport de leur collège “Hate sport”. Le groupe est né, mais ne compte alors que deux membres. Conscientes de leurs lacunes musicales, elles se décident de recruter des membres qui maîtrisent les instruments de musique. Mais leur impopularité n’aide pas.

We are the best - 4

Elles réussissent néanmoins à convaincre Hedvig (Liv LeMoyne) de les rejoindre. La jeune fille a leur âge, maîtrise la guitare sèche et est également sujette aux moqueries des autres ados à cause de son caractère sage et son attachement à la foi chrétienne. Elle est ravie de pouvoir se dévergonder un peu au contact de ses nouvelles amies et expérimenter les sonorités de la guitare électrique.
Evidemment, tout cela n’est pas vraiment du goût de leurs parents, ni des habituels pensionnaires du local, un groupe de rock de garçons baptisé “Iron Fist”. Mais les gamines s’accrochent pour être au point lors du concert de fin d’année, dans une salle de banlieue près de Stockholm.
Les chosent dérapent pourtant avec les premiers émois amoureux des trois adolescentes, qui génèrent jalousie et rivalité…
L’amitié et la punk-attitude triompheront-elles?

We are the best - 3

Réponse au terme de ce petit film plein d’énergie, de bruit et de fureur, qui exhale un parfum doucement nostalgique et dans lequel on retrouve toutes les conventions du genre, éprouvées par des films comme The Commitments, Spinal Tap ou Still crazy : L’idée de la création du groupe, le recrutement de ses membres, les répétitions, cacophoniques puis nettement plus convaincantes à mesure que le récit avance, le premier concert qui tourne à l’émeute, le premier clash… L’originalité, ici, est que tout est vu à travers le regard des trois adolescentes “rebelles”, en guerre contre un pays réputé pour ses idées progressistes, mais qui, à y regarder de plus près, n’est pas si tolérant que cela.

We are the best - 2

Les cinéphiles qui ont découvert Lukas Moodysson par le biais de Fucking Amal et Together, satires sociales impertinentes sur le modèle libertaire suédois, ne seront pas dépaysés. We are the best! s’attache au même genre de personnages et de problématiques.
Evidemment, l’effet de surprise ne joue plus, d’autant que le scénario épouse un cheminement assez linéaire et cède à certaines facilités stylistiques. Et il faut bien avouer que ce n’est pas le meilleur film de son auteur, capable de films autrement plus consistants, comme le glaçant Lilya 4 ever . Mais We are the best! n’en demeure pas moins un très agréable “feel good movie”, souvent drôle, parfois tendre, et joué avec conviction par ces jeunes actrices épatantes.
On est également très heureux de voir le cinéaste suédois se refaire une santé après l’accueil mitigé de son précédent long-métrage, Mammoth.
Enfin, l’énergie que ces trois gamines mettent à bousculer l’ordre établi est extrêmement communicative, tout comme leur bonne humeur et leur soif de vie.
Non, on peut le dire : Punk is not dead!

_______________________________________________________________________________

We are the best We are the best!
Vi är bäst!

Réalisateur : Lukas Moodysson
Avec : Mira Grosin, Mira Barkhammar, Liv LeMoyne, David Dencik, Lena Carlsson, Anna Rydgren
Origine : Suède
Genre : comédie punk et nostalgique
Durée : 1h42
Date de sortie France : 04/06/2014
Note pour ce film :

“New York Melody” de John Carney

0
0

En 2007, Once, un petit film indépendant irlandais, avait fait entendre sa jolie musique dans les salles obscures, et révélé le talent de John Carney.
Depuis, on avait un peu perdu de vue ce cinéaste, son film suivant, Zonad, étant resté inédit en France.
Mais il prouve avec New York Melody, son nouveau long-métrage,qu’il est encore là et bien là, puisqu’il nous offre l’un des petits bijoux de l’été. Une comédie romantique et musicale, pleine de charme et de tendresse.

New York Melody - 7

L’intrigue tourne autour de la rencontre entre deux êtres un peu paumés, autant largués professionnellement que sentimentalement, dans un bar de nuit newyorkais.
Lui, Dan (Mark Ruffalo), vient de se faire virer par son associé du label musical indépendant qu’ils avaient cofondé ensemble. Il faut dire qu’il n’est plus que l’ombre de lui-même depuis quelques années. Il n’a pas signé de nouveau talent depuis des lustres, fait des passages-éclair au bureau, et encore, pour s’opposer systématiquement aux idées de son partenaire et de ses employés. Et pour couronner le tout, il a un penchant un peu trop prononcé pour l’alcool, cause ou conséquence de sa rupture avec son épouse, Miriam (Catherine Keener).
Tout ce qu’il a patiemment bâti au cours du temps est en train de voler en éclats. Ses moments de gloire sont derrière lui, ses grammy awards ont été mis au clou, sa carrière est au point mort. Il a perdu sa maison, sa femme et même sa fille, Violet (Hailee Steinfeld), qui a honte de lui. Il ne lui reste plus qu’un studio minuscule et une vieille Jaguar aussi fatiguée que lui…

New York Melody - 8

Elle, Gretta (Keira Knightley), a quitté son Angleterre natale pour suivre son conjoint, Dave (Adam Levine) au Etats-Unis. Après le succès d’une bande-originale de film qu’ils ont composée ensemble, le jeune homme s’est en effet vu proposer un important contrat avec un label new yorkais.
Au début, tout est parfaitement idyllique. Gretta accepte de rester dans l’ombre de son compagnon pour l’aider à lancer sa carrière solo. Mais très vite, Dave se laisse griser par sa nouvelle notoriété et profite d’une tournée pour céder aux avances d’une attachée de presse. Furieuse, Gretta part se réfugier chez un vieil ami, Steve (James Corden), musicien fauché qui joue sur les trottoirs et dans les bars de nuit.
C’est grâce à lui que va avoir lieu la rencontre avec Dan. Alors qu’il se produit sur scène, Steve insiste pour que Gretta chante une de ses chansons. Bien que réticente, elle s’exécute devant un public amorphe, à l’exception de Dan, complètement conquis par la composition et la voix de son interprète.
Il lui propose alors de produire son album et de l’emmener vers les sommets des charts US.

New York Melody - 2

Seul problème, produire un album coûte cher. Il faut payer le studio d’enregistrement, les musiciens,… Or ni Dan ni Gretta n’ont les fonds pour financer tout cela… Mais qu’à cela ne tienne, il suffit d’un peu de bonne volonté et de force de conviction. L’album sera enregistré en plein air, dans différents quartiers de New York, dans le métro, sur le toit d’un gratte-ciel, sur le macadam…, avec du matériel branché sur la batterie de la vieille Jaguar. Les musiciens seront des petits jeunes qui s’ennuient au conservatoire ou des musiciens fauchés qui n’ont rien à perdre. Et advienne que pourra…

New York Melody - 5

Disons le tout de go, le scénario de New York Melody ne déborde pas d’originalité. On devine dès le départ que ce projet musical va aboutir, permettant à  ces perdants magnifiques de prendre leur revanche sur ceux qui les ont mis à terre. Mais on s’en moque un peu…
Déjà parce que si John Carney joue avec certains stéréotypes (la relation entre le père divorcé et sa fille, la rock-star volage et sa compagne…), il évite soigneusement les écueils de la rom-com hollywoodienne, en prenant garde à ne jamais sombrer dans la mièvrerie.

New York Melody - 6

Ensuite parce que le film bénéficie d’une mise en scène tout à fait honorable, ce qui n’est pas toujours le cas, hélas, pour ce genre de film. Oh, ce n’est pas du grand cinéma d’auteur, mais le réalisateur assure le métier et s’autorise même de belles trouvailles, comme cette scène où Dan imagine l’orchestration du morceau joué par Gretta à la guitare sèche, avec les instruments qui se mettent à jouer tout seuls, où toutes les captations des enregistrements sauvages de la jeune chanteuse et ses musiciens, qui entremêlent les morceaux de musiques et les rumeurs de la vie newyorkaise…
A coté des deux personnages principaux, pétillants de charme, la “Grande Pomme” est d’ailleurs un protagoniste à part entière du film. La hauteur des buildings de Manhattan tranche avec le côté intimiste et chaleureux de certains quartiers, où cohabitent des centaines d’artistes bien décidés à réaliser leurs rêves. La ville est irriguée par une force vitale indescriptible, dont se nourrissent Dan et Gretta.

New York Melody - 3

Et enfin parce que cette énergie se transmet également au spectateur, via le son des belles mélodies composées par Gregg Alexander et Danielle Brisebois et chantées par Keira Knightley (qui a un beau brin de voix, au passage) ou Adam Levine, via aussi la détermination des personnages principaux à aller au bout de leur projet insensé. Difficile de ne pas éprouver de la sympathie pour Gretta et Dan. Et difficile de rester insensible à cette belle aventure musicale, ou de ne pas envie de battre la musique sur les morceaux les plus rythmés joués par le groupe…

New York Melody - 4

New York Melody appartient sans nul doute à  cette catégorie de films que l’on appelle “feel-good movies”. Des films qui font du bien. Le terme n’est pas galvaudé : on sort de la salle avec de la musique plein la tête et le moral gonflé à bloc, prêt à croquer la vie.
Si vous êtes en pleine dépression, si vous avez du mal à vous remettre d’une rupture difficile ou si votre situation professionnelle vous angoisse, n’hésitez pas et courrez voir ce film, qui vous remettra sans doute un peu de baume au coeur.
Et si vous êtes parfaitement heureux et bien dans votre peau, allez-y quand même! Vous passerez un très agréable moment en compagnie de cette joyeuse troupe de comédiens/musiciens.

_______________________________________________________________________________

New York Melody New York Melody
Begin again

Réalisateur : John Carney
Avec : Keira Knightley, Mark Ruffalo, Hailee Steinfeld, Catherine Keener, James Corden, Adam Levine
Genre : feel good movie par excellence
Origine : Etats-Unis, Royaume-Uni
Durée : 1h44
Date de sortie France : 30/07/2014
Note :
Contrepoint critique : Libération

 

_______________________________________________________________________________

 


“Le Garçon et le Monde” d’Alê Abreu

0
0

Le Garçon et le Monde - 9

Pour commencer, un coup de gueule : Comment le lauréat du Grand Prix du Festival du Film d’Animation d’Annecy (1), qui fait office de référence en la matière, a-t-il pu sortir de manière aussi confidentielle, dans un circuit de salles aussi restreint? Certes, il y a des films plus mal lotis, mais seulement huit salles à Paris, à peine plus en banlieue et quelques salles réparties sur l’ensemble de l’hexagone, c’est bien peu pour une oeuvre de ce calibre. Sans compter que, quand des cinémas le diffusent, ils cantonnent Le Garçon et le Monde à seulement quelques jours précis, et des séances en journée, comme pour les films destinés aux tout-petits. Ce qui nous pousse à nous demander si les exploitants ont vraiment vu le film. Effectivement, à première vue, le film semble destiné aux plus jeunes des spectateurs. Le graphisme des personnages et des décors évoque un dessin d’enfant. Mais très vite, le film prend une tout autre tournure, plus mélancolique, plus amère. Il peut effectivement être vu par des enfants, qui seront sans doute séduits par sa poésie et la beauté de ses images, mais il y a plus de chance pour qu’il bouleverse leurs parents, plus à même de saisir la portée de ce récit. En optant pour ce créneau horaire pour les séances, les exploitants laissent clairement à penser que le film est  exclusivement réservé aux enfants et se coupent donc de tout un public potentiel. Dommage…

Le Garçon et le Monde - 4

Et maintenant, un coup de coeur. Un vrai. Le Garçon et le Monde nous a enchantés, enthousiasmés, bouleversés au-delà des mots. C’est une merveille de narration, un éblouissement visuel et sonore, un maelström d’émotions. Tout cela au coeur d’un seul et même film.
Cela commence, donc, de façon plutôt simple. Sur fond blanc, on voit arriver le héros, un petit garçon en short et marinière rouge et blanche. Bras et jambes filiformes, tête ronde comme un ballon, quatre cheveux sur le crâne, deux joues roses et deux grands yeux ouverts sur le monde. Il regarde, au sol, un caillou coloré. En s’approchant, il entend une mélodie entêtante, jouée à la flûte, qui va nous hanter pendant toute la durée du film.
Puis il part à la découverte de la nature environnante, joue avec les papillons, les oiseaux, grimpe aux arbres, court partout et arrive finalement sur le “quai” d’une gare de campagne – en fait, une simple plateforme. Son père est sur le point de partir. Il échange quelques mots avec son épouse, dans une langue incompréhensible (1), embrasse son fils et part à bord du train, grand serpent métallique fonçant vers la ville. L’enfant reste un peu désemparé. L’absence de son père lui pèse. Alors il se souvient de moments de complicité, quand le soir, en observant la nuit tomber, le père jouait à la flûte l’air entendu précédemment. Le gamin a attrapé les notes de musique et les a enfermées dans une boîte, qu’il a enterrée sous le caillou coloré. D’où cette mélodie qui monte du plus profond de la terre, comme un souvenir qui tente d’affleurer à la surface.

Le Garçon et le Monde - 3

Un soir, le garçon décide de partir à la rencontre de son père. Il fait sa valise et part attendre le train sur la petite plateforme. Mais un orage éclate.
Une fois que la pluie a cessé, le garçon se réveille dans un nouvel environnement, chez un homme qui lui ressemble un peu et qui représente très certainement ce qu’il deviendra plus tard. Il décide de suivre cet adulte jusqu’à son lieu de travail, dans les champs de coton.
C’est le début d’un périple initiatique qui va les emmener de la campagne à la ville et va leur faire découvrir tous les aspects de la condition humaine, heureux ou moins heureux.

Le Garçon et le Monde - 5

Pour le petit garçon, le monde est un vaste terrain de jeu et de découvertes. Courir dans les champs de coton, c’est comme attraper des nuages. Comme le Chaplin des Temps Modernes, il se laisse embarquer par les rouages d’une gigantesque chaîne automatique. Il traverse un dangereux chantier sans prendre conscience du danger, trop absorbé à regarder dans son kaléidoscope. Même les chars de la dictature militaire au pouvoir ne l’effraient pas plus que cela. Il les voit comme des animaux exotiques fascinants.
Pour l’adulte, le constat est évidemment très différent. Le monde n’est pas source d’émerveillement mais de souffrances. Pour survivre, il faut travailler. Mais les emplois sont rares, mal payés et les conditions de travail sont très rudes. Le labeur dans les champs de coton est épuisant. Il ne ménage pas ses efforts, mais il sait que sa silhouette frêle et sa santé fragile ne plaident pas en sa faveur. La solution pourrait se trouver en ville, mais le travail à la chaîne est tout aussi épuisant et tend de toute façon à être remplacé par des machines. L’adulte observe, impuissant, la mutation de son pays. Il voit les villes grandir pendant que les forêts sont dévastées. Il voit des population subir la dictature militaire et celle, plus insidieuse, de l’économie libérale. Il voit le monde idéalisé de son enfance, chaleureux et coloré, céder à un nouveau monde gris et noir, déprimant, où tout espoir est vain.
Le film fonctionne sur ces deux niveaux superposés, la vision optimiste de l’enfance et celle, pessimiste et amère, de l’adulte.

Le Garçon et le Monde - 8

La seule chose qui les place sur le même plan, c’est la musique. Les moments de fête, de carnaval, sont des instants précieux qui les poussent à avancer encore et toujours. Pour le gamin, c’est un moteur pour continuer son exploration et sa quête – retrouver la trace de son père. Pour l’adulte, c’est une pause salutaire dans une vie morne et grise – et l’occasion de retrouver un peu du rêve et de la fantaisie de l’enfance.
Cela résume bien la démarche d’Alê Abreu. Le Garçon et le Monde veut inviter les jeunes spectateurs à découvrir le Monde avec envie et curiosité, apportant leur candeur, leur fraîcheur, leur innocence, leurs rêves, et, dans le même temps, forcer les adultes à retrouver un peu de leur propre enfance, et ranimer ainsi l’espoir d’un Monde nouveau, plus beau et plus juste.

Le Garçon et le Monde - 2

Oui, l’espoir est là, malgré le côté très sombre du film (versant adulte). Le dénouement, qui voit le garçon revenir dans la maison familiale, où tout a profondément changé, laisse d’abord un goût de cendre et de poussière, avant de laisser place, à nouveau, à des rires d’enfants et des notes de musique.
La vie est faite de cycles. On naît, on vit, on meurt. Des enfants prennent notre place, prêts à découvrir le Monde qui, lui, continue à tourner. Sans doute leurs rêves se briseront-ils contre la dure réalité, mais peut-être arriveront-ils à faire bouger les choses, à bousculer l’ordre établi. Et s’ils n’y parviennent pas, ils transmettront à leurs propres enfants le goût des belles choses, de la musique et de la fête pour qu’ils puissent à leur tour affronter le Monde.

le garçon et le monde

Pour traduire le côté cyclique des choses, le réalisateur s’amuse d’ailleurs avec le motif du cercle, omniprésent dans le film : la tête du petit garçon, la roue d’une bicyclette, les contours du feuillage d’un arbre majestueux, les rouleaux de coton…
Mais Alê Abreu s’amuse aussi avec les couleurs, les textures. il mélange différentes techniques de dessin : crayon, feutre, pastel gras, papier à gratter, collages, explore les univers graphiques de différents peintres pour composer des plans plus somptueux les uns que les autres, distillant une poésie rare.
On se laisse emporter par la fluidité de l’animation, la beauté des couleurs, la finesse des traits des personnages, des décors, et par le flux musical constant, utilisant les talents de plusieurs jeunes musiciens brésiliens. Le résultat est d’autant plus enthousiasmant que le cinéaste ne bénéficie pas des mêmes moyens que les gros studios d’animation hollywoodiens.

Le Garçon et le Monde - 7

Mais arrêtons-là les longs discours. On pourrait essayer de trouver mille mots pour décrire cet admirable objet cinématographique que l’on serait encore bien loin du compte. D’autant qu’Alê Abreu, lui, n’a pas besoin de sa pour faire passer son message humaniste et écologiste. Sa poésie lui suffit.
Alors, courez vite découvrir Le Garçon et le Monde au cinéma. Pensez quand même à prendre un paquet de mouchoirs, car vous risquez de pleurer au moins deux fois : la première à cause de la beauté des images, la seconde à cause de l’émotion qui ne manquera pas de vous submerger.Vivez l’expérience, laissez-vous porter par ce flux harmonieux d’images, de sons et de sentiments. C’est peut-être le meilleur film de l’année 2014. Rien que ça.

(1) : Il a aussi remporté le Prix du Public, ce qui en dit long sur l’accueil du film à Annecy.
(2) : En fait, du portugais lu à l’envers. Une façon de montrer que le contexte du film peut s’appliquer à n’importe quel pays d’Amérique Latine, mais reste fortement inspiré de l’histoire du Brésil, pays dont est originaire le cinéaste.

_______________________________________________________________________________

Le Garçon et le Monde - afficheLe Garçon et le Monde
O Menino e o Mundo

Réalisateur : Alê Abreu
Avec : –
Origine : Brésil
Genre : chef d’oeuvre
Durée : 1h19
date de sortie France : 08/10/2014
Note :
Contrepoint critique : pas trouvé

_______________________________________________________________________________

“Into the woods, Promenons-nous dans les bois” de Rob Marshall

0
0

Les dirigeants de Walt Disney Pictures ont de la suite dans les idées… Avec Into the woods, ils continuent d’exploiter le filon des contes de fées, qui leur a plutôt bien réussi par le passé, et notamment ces dernières années, avec le triomphe de dessins animés comme Raiponce et La Reine des Neiges. Mais cette fois, il s’agit d’un film en prises de vues réelles, l’adaptation d’une comédie musicale de Stephen Sondheim et James Lapine qui a eu un certain succès à Broadway à la fin des années 1980 et fait se croiser plusieurs personnages de l’univers des frères Grimm : Le petit Chaperon Rouge, Cendrillon, Raiponce et Jack le tueur de géants.

Into the woods - 4

Le prétexte qui les réunit tous est l’histoire d’un boulanger (James Corden) et de son épouse(Emily Blunt) qui se lamentent de ne pas avoir d’enfant. Une affreuse sorcière (Meryl Streep), vient leur annoncer que leur stérilité est la conséquence d’une malédiction qu’elle a lancée jadis sur leur famille, suite à un conflit avec le père du boulanger. Pour conjurer le sort, le couple doit réunir quatre objets : un chaperon rouge, comme celui de cette petite-fille (Lilla Crawford) qui s’en va rendre visite chez sa mère-grand, sous le regard intéressé du Grand Méchant Loup (Johnny Depp), une pantoufle de vair, comme celle que Cendrillon (Anna Kendrick) rêve de porter au bal du Prince (Chris Pine), une vache blanche comme du lait, tel le bovidé que le jeune Jack (Daniel Huttleford) doit à contrecoeur vendre au marché, et une mèche de cheveux blonds comme les blés, et comme ceux de Raiponce. Cette quête ne sera pas sans conséquences sur la tranquillité du royaume…

Into the woods - 7

La première moitié du film montre des personnages qui sont tous en quête de quelque chose. Dès la première scène, ils implorent le Ciel d’exaucer leurs souhaits. Le boulanger et sa femme veulent un enfant. La sorcière veut retrouver sa beauté. Cendrillon veut absolument aller au bal pour rencontrer le Prince Charmant. Jack veut que sa vache soit encore suffisamment vaillante pour donner du lait et que sa mère renonce à la vendre. La mère de Jack rêve de beaux habits et d’un cadre de vie meilleur. Raiponce souhaite sortir de la tour où elle est retenue captive. On est dans une narration typique de contes de fées, où un chemin semé d’embûches se dresse entre les personnages et leur objectif, mais où tout est bien qui finit bien.
Puis, sans prévenir, le ton change. Dès que les personnages ont obtenu ce qu’ils souhaitaient, on bascule dans une toute autre histoire, plus amère et plus mélancolique. D’habitude, les contes se terminent sur la traditionnelle mention “Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants”, sans plus de détails. Ici, la deuxième moitié du film nous montre ce qu’il se passe après que le Prince épouse la Princesse, après que que les personnages aient obtenu ce qu’ils voulaient. Et c’est nettement moins reluisant. Le Royaume est en péril, au bord de la destruction. Les comportements individualistes prennent le pas sur le sens du collectif. Les bonheurs conjugaux idylliques se fissurent au contact de la réalité.

Into the woods - 5

C’est là que le film de Rob Marshall devient intéressant, quand il sort des sentiers battus des traditionnelles productions Disney et que le conte de fées retrouve sa fonction essentielle : Permettre aux enfants, par le biais d’une histoire fantastique divertissante, d’affronter leurs peurs primales, de recevoir une morale et de s’initier en douceur à des sujets plus graves, plus douloureux, de façon à favoriser le passage à l’âge adulte.
Il y a déjà cette idée dans la première partie, notamment à travers l’histoire du Chaperon Rouge, qui présente, comme le conte original, différents niveaux de lecture. Le premier est une banale leçon de morale : il faut obéir à ses parents et rester sagement sur la bonne voie. Le second est une leçon de morale à connotation sexuelle : avec le passage à l’adolescence, la fillette devient objet de désir et peut devenir une proie pour des prédateurs sexuels, comme ce loup au regard lubrique. Le troisième est une allégorie du passage à l’âge adulte et de la perte de la virginité : en cédant à la tentation de prendre des sentiers de traverse, la jeune fille finit par voir le loup – une rencontre plutôt brutale…- et elle est finalement libérée du ventre de l’animal par un chasseur (ici, le boulanger), ce qui correspond à une renaissance, au passage à l’âge adulte, à la perte de l’innocence enfantine.

Into the woods - 2

Mais ici, la perte de l’innocence se fait surtout par le biais de la seconde partie du film, qui s’ingénie à déboulonner certains mythes de contes de fées.
Par exemple, le Prince Charmant dont rêvent les filles s’avère être un homme finalement peu intéressant, incapable de d’endosser le rôle de chef de famille car trop occupé à jouer au Prince Charmeur, volage et indélicat. Mais même les couples apparemment heureux ne sont pas à l’abri de quelques nuages, comme vont le découvrir le boulanger et sa femme. Non, l’Amour n’est pas éternel. Pas plus que les êtres humains.
Into the woods est une histoire de désirs et de dangers, de responsabilité, d’émancipation, de naissance, de renaissance et de deuil, qui traduit bien le franchissement du fossé entre le monde de l’enfance, fantaisiste, coloré et joyeux, et l’âge adulte, plus réaliste, plus sombre, plus amer, plus décevant.

Into the woods - 3

Sur le fond, c’est très réussi. C’est sur la forme que ça coince. Le film est presque entièrement chanté et cela s’avère vite assez insupportable. Déjà parce que les chansons ne sont pas très bien écrites, entre musique saoulante et paroles insipides. Et ensuite parce qu’elles sont ânonnées péniblement par les acteurs.
Rares sont ceux qui sortent leur épingle du jeu. Emily Blunt et Anna Kendrick y parviennent, même si tout n’est pas parfait. Chris Pine aussi, dans une savoureuse composition de prince ringard. Pas Johnny Depp, qui fait son numéro habituel, le minimum syndical, dans la peau du loup. Pas Meryl Streep, qui en fait des tonnes dans le rôle de la sorcière. Et quand elle chante, Mamma mia, que cela manque de justesse! Pas les deux jeunes acteurs, aux bouilles aussi craquantes que leurs voix sont horripilantes.
La mise en scène de Rob Marshall, si inspirée dans Chicago, est ici beaucoup plus plate. Elle manque d’ampleur et d’imagination, se contentant de capter cette succession de tableaux chantés plutôt que de les enchanter. Nous aimons les comédies musicales réussies, mais hélas, celle-ci, qui ne flatte ni l’ouïe, ni la vue, n’en fait pas partie…

Into the woods nous laisse donc un sentiment très partagé. Nous avons envie de défendre le film pour sa seconde partie, qui tranche (un peu) avec l’univers édulcoré des films Disney. Mais pour arriver jusque-là, il faut réussir à supporter les numéros qui précèdent, à commencer par son introduction horripilante…
A vous de voir si vous voulez tenter l’expérience.

_______________________________________________________________________________

Into the woodsInto the woods – Promenons-nous dans les bois
Into the woods

Réalisateur : Rob Marshall
Avec : Emily Blunt, Meryl Streep, James Corden, Chris Pine, Anna Kendrick, Johnny Depp
Origine : Etats-Unis
Genre : Conte défait et comédie musicale stressante
Durée : 2h04
date de sortie France : 28/01/2015
Note :
Contrepoint critique : Télérama

_______________________________________________________________________________

“Marguerite” de Xavier Giannoli

0
0

Florence Foster Jenkins, milliardaire américaine née à la fin du XIXème siècle, était passionnée d’art lyrique et avait la particularité de chanter plus faux qu’une casserole. Comme beaucoup d’autres personnes en ce bas monde, certes. Sauf que d’ordinaire, ces dernières ont conscience des sons cacophoniques qu’elles produisent et s’abstiennent de pousser la chansonnette en public. Or, durant toute sa vie, Florence Foster Jenkins a donné de nombreux récitals tout en étant persuadée d’avoir une voix digne des plus grandes soprano. Son public était composé d’hypocrites n’osant pas lui dire combien ses vocalises étaient insupportables ou de moqueurs riant à ses dépens.
Certains prétendent que Hergé s’est inspiré d’elle pour créer  le personnage de Bianca Castafiore dans “Les Aventures de Tintin”, mais cela n’a jamais été prouvé.  En tout cas, c’est bien son histoire qui a servi de base à Xavier Giannoli pour le scénario de Marguerite et la création du personnage éponyme, joué avec enthousiasme par Catherine Frot.

Marguerite - 4

Il raconte l’histoire de Marguerite Dumont (hommage à la Marguerite du “Faust” de Gounod ou à l’inénarrable Margaret Dumont, victime préférée des Marx Brothers ?), une riche baronne qui, dans le Paris des Années Folles,  utilise sa fortune pour donner des concerts caritatifs en faveur des victimes de la Grande Guerre. Elle sait se montrer généreuse envers les jeunes artistes qu’elle invite à chanter et les réceptions qu’elle organise sont très prisées par son cercle d’amis. Le problème, c’est qu’elle insiste pour chanter elle-même lors de ces concerts et qu’elle a une voix absolument épouvantable, du genre à briser les verres en cristal quand elle pousse dans les aigus. Ses vocalises sont insupportables, mais personne n’ose lui dire la vérité, par intérêt, par politesse ou par peur de lui faire du mal.  Son mari (André Marcon) ne supporte pas de la voir se ridiculiser ainsi en public, mais il joue le jeu. Tout va pour le mieux tant que le “talent” de Marguerite reste confiné dans leur salon de réception.
Mais un jour, Lucien Beaumont (Sylvain Dieuaide), un jeune journaliste manipulateur, et son ami Kyril Von Priest (Aubert Fenoy), escroc anarchiste, l’incitent à se produire devant un vrai public… Il va être compliqué de l’en dissuader, et plus encore de la préserver du jugement des autres…

Marguerite - 3

Dans sa construction, le film évolue comme une comédie. Si les oreilles saignent, les zygomatiques travaillent à plein régime. On s’amuse de voir Marguerite massacrer le très guindé répertoire classique, à commencer par Mozart et sa “Flûte enchantée”. On se bidonne quand elle provoque malgré elle une émeute lors d’un spectacle anarchiste, où sa version très personnelle de “La Marseillaise” est prise pour une provocation. Et on rit de bon coeur en voyant l’improbable équipe chargée de lui donner des cours de chant et de la préparer à la scène, la vraie : un chevalier de la manchette italien, une femme à barbe, un pianiste sourdingue et un domestique Noir très zélé.

Marguerite - 7

Mais plus le film avance, plus il devient grave. Comme les autres personnages du film, on s’attache à Marguerite. On éprouve une profonde empathie pour cette femme qui s’est investie corps et âme dans le chant et la musique, surtout quand on réalise que c’est pour elle un moyen  de tromper la solitude et d’exister un peu aux yeux d’un mari qui la délaisse et de proches qui la méprisent. Elle ressemble, par bien des aspects, aux personnages des films précédents de Xavier Giannoli : au chanteur de bal de Quand j’étais chanteur, vivant son rêve de carrière musicale loin des feux des projecteurs, au petit escroc s’improvisant chef de chantier et accomplissant plus que des professionnels dans A l’origine. Des gens simples, sans grand talent, sans diplômes, sans succès, mais donnant tout ce qu’ils ont pour que leur rêve prenne vie et que l’on s’intéresse à eux. Marguerite chante faux mais elle s’investit complètement dans sa passion. Et finalement, dans cet univers petit-bourgeois où les hypocrites côtoient les escrocs, elle est la seule à être vraie et intègre. Mais cela, hélas, ne pèse pas bien lourd face aux railleries, aux moqueries, aux critiques acérées…

Marguerite - 6

On sort du film bouleversés par le destin du personnage, par la performance remarquable de Catherine Frot, toute en nuances et en subtilité, d’une justesse inversement proportionnelle à la justesse de la voix de Marguerite, par le profond humanisme qui se dégage de l’oeuvre.
Bien que snobé à la dernière Mostra de Venise, où il est reparti bredouille de la compétition, Marguerite est un film passionnant qui mériterait un beau succès en salles. C’est tout le mal que l’on souhaite à Xavier Giannoli, Catherine Frot et toute leur sympathique équipe.

____________________________________________________________________________________________________

MargueriteMarguerite
Marguerite

Réalisateur : Xavier Giannoli
Avec : Catherine Frot, André Marcon, Michel Fau, Théo Cholbi, Christa Théret, Sylvain Dieuaide, Aubert Fenoy
Origine : France
Genre : chanté faux mais joué juste
Durée : 2h07
date de sortie France : 16/09/2015
Contrepoint critique : Critikat

“La La Land” de Damien Chazelle

0
0

Si le cinéma Hollywoodien est aujourd’hui synonyme de films formatés et sans imagination, cela n’a pas toujours été le cas. Pendant ce que l’on appelle “l’âge d’or” des grands studios américains, la période comprise entre les années 1930 et les années 1950, les créateurs rivalisaient d’audace et d’imagination, réussissant à transcender même les plus insipides des scénarios. Le genre sans doute le plus emblématique de cette période dorée est très probablement la comédie musicale, qui a offert aux spectateurs de l’époque de très nombreux chefs d’oeuvres, ou du moins des séquences cinématographiques mémorables, avant de décliner inexorablement à l’orée des années 1960.
Auréolé du succès de Whiplash, le jeune cinéaste Damien Chazelle a eu carte blanche pour réaliser La La Land, un film qui ambitionne justement de retrouver la magie, le charme et l’inventivité des grandes comédies musicales de l’âge d’or, signées par Vincente Minnelli, Stanley Donen, Mervynn Le Roy, avec Fred Astaire, Ginger Rogers, Judy Garland ou Gene Kelly…
Le défi était audacieux, car si le genre fait le bonheur des théâtres de Broadway, il est presque totalement tombé en désuétude au cinéma et ses maîtres-artisans ont pris leur retraite depuis longtemps .

La La Land - 4Pourtant, le cinéaste réussit à nous convaincre dès la séquence inaugurale, époustouflante. La caméra déambule le long d’une des autoroutes tentaculaires surplombant Los Angeles. De nombreuses voitures son prises dans les bouchons, attendant que la situation se débloque. Chaque habitacle diffuse sa propre musique, indifférent aux autres, quand soudain, une conductrice sort de son véhicule et se met à chanter et danser entre les rangées de voitures, bientôt suivie par d’autres automobilistes. L’autoroute devient le théâtre d’un formidable flashmob, filmé en un long et inventif plan-séquence, qui rappelle les ballets grandioses inventés par Busby Berkeley dans les années 1930. Les voyageurs entrent et sortent des voitures avec un timing parfait, roulent sur les capots, dansent sur les toits des véhicules, chantent leur joie de vivre sous le chaud soleil de Californie, dans la cités des rêves… On a immédiatement envie de traverser l’écran pour partager l’enthousiasme de ces personnages, danser avec eux.

LLL d 33_5542.NEFLes autres numéros musicaux s’avèreront tout aussi réussis : la préparation d’un groupe de jeunes femmes, colocataires, s’apprêtant pour une folle soirée en ville, est prétexte à un joli ballet, toujours en plan-séquence, utilisant à merveille les spécificités du décor, les jeux de reflets et de lumière. Une visite nocturne de l’Observatoire Griffith, sur la colline de Hollywood, se mue en un numéro de danse aérien et sensuel, au milieu des étoiles et des planètes, une audition mal engagée est l’occasion d’une chanson émouvante, dans laquelle l’héroïne raconte son histoire personnelle et exprime tous ses sentiments…
Jusqu’à un formidable numéro final, dans la tradition des grandes comédies musicales des années 1950, comme Chantons sous la pluie ou Tous en scène, qui revisite l’intrigue du film en imaginant ce que seraient devenus les personnages s’ils avaient effectué d’autres choix.

La La Land - 5Cette volonté de s’inscrire dans la grande tradition des comédies musicales d’antan se retrouve jusque dans le scénario, qui s’appuie sur un principe tout simple, à l’origine du succès de bon nombre de grandes comédies romantiques : la rencontre entre un homme et une femme que tout semble opposer, qui commencent par se détester avant de s’apprécier et, in fine, tomber amoureux l’un de l’autre.
Ici, en l’occurrence, il s’agit de celle de Mia (Emma Stone) et Sebastian (Ryan Gosling). La jeune femme a quitté son Colorado natal dans l’espoir de devenir actrice à Hollywood, comme son idole, Ingrid Bergman. En attendant de décrocher le rôle qui lancera sa carrière, elle doit se contenter d’un petit job de serveuse, dans un café à proximité des studios et d’une suite d’auditions toutes aussi humiliantes et déprimantes les unes que les autres. Sebastian, de son côté, rêve de pouvoir jouer librement la musique qui le fait vibrer, le jazz. Mais, de la même façon que la comédie musicale a disparu des salles obscures, le jazz est passé de mode. Aujourd’hui, les clubs de jazz mythiques, qui ont vu jouer les plus grands musiciens, sont remplacé par des bars à tapas qui jouent de la musique latino. Sebastian en est réduit à jouer des standards poussiéreux et des musiques de Noël dans des bars lounge sans âme, devant des clients qui se désintéressent totalement de sa musique, ou de jouer des tubes rocks des années 1980 dans les soirées branchées de Beverly Hills. Il aimerait bien ouvrir son propre club, mais sans argent, difficile de faire quoi que ce soit…

La La Land - 8Leur première rencontre, qui se déroule juste après la séquence inaugurale sur l’autoroute, ne laisse pas franchement entrevoir la possibilité d’une quelconque idylle entre eux. Quand le trafic redevient fluide, Sebastian s’impatiente et double en jurant et pestant la voiture qui le précède. Celle de Mia, qui répond au goujat par un geste obscène.
Leur seconde rencontre n’est pas plus agréable. De retour d’une soirée déprimante, Mia entre par hasard dans un club où Sebastian joue du piano. Séduite par l’air qu’il est en train de jouer, elle s’approche pour le féliciter. Hélas, le jeune homme n’est pas de très bonne humeur, puisqu’il vient de se faire licencier par le patron du club… Il l’écarte brusquement de son chemin, sans même lui adresser la parole.
Il faudra plusieurs rencontres fortuites, faites de défiance et de tentatives de rapprochement maladroites, pour que ces deux-là comprennent qu’ils sont faits l’un pour l’autre, artistes maudits s’accrochant à leur rêves dans un jungle hollywoodienne trop féroce pour eux et âmes solitaires en quête de compagnie pour affronter les épreuves.
Finalement, à la faveur d’une balade nocturne et l’esquisse d’un pas de danse qui rappelle irrésistiblement les films du duo Ginger Rogers/Fred Astaire, ils deviendront inséparables. Ou presque…

La La Land - 2
C’est ce “presque” qui démarque le film de Damien Chazelle des comédies musicales de l’âge d’or Hollywoodien et qui lui confère, paradoxalement, sa plus grande force. La solution de facilité aurait été de réaliser un film d’époque, de placer ses personnages dans le contexte des années 1950 et d’évoluer tranquillement vers un dénouement heureux, typique du genre. Cependant, malgré le parfum nostalgique qu’il exhale, malgré sa conception “à l’ancienne”, malgré ses multiples clins d’oeil aux standards du genre, le film de Damien Chazelle est ancré dans un contexte contemporain qui vient régulièrement “contaminer” le récit. Parfois, le monde moderne se manifeste de manière amusante, comme quand une scène de danse romantique est interrompue brutalement par une… sonnerie de téléphone mobile (Imaginez un peu la fameuse scène dans le parc de Tous en scène, où Fred Astaire et Cyd Charisse tombent amoureux l’un de l’autre, interrompue de la même façon!).
Parfois, le mal est plus profond, insidieux. En dépit des efforts déployés par les personnages pour s’ancrer dans un passé idéalisé (l’âge d’or du jazz pour Sebastian et celui du cinéma pour Mia), ils ne peuvent pas oublier que le Monde a beaucoup changé depuis le début du XXème siècle. Son innocence a été mise à mal par les deux guerres mondiales, les conflits liés à la décolonisation des grandes puissances européennes, la guerre froide… Le rêve d’une société plus pacifique et libertaire n’a pas survécu aux année 1970. La parenthèse enchantée a laissé place à une ère désenchantée. Le modèle économique occidental a perdu de sa superbe, en même temps que périclitaient le jazz et le cinéma Hollywoodien, victimes du glissement progressif de la création artistique vers l’industrie pure et dure.
Forcément, dans ce contexte désabusé, qui laisse peu de place aux artistes, aux poètes et aux romantiques, Mia et Sebastian ont peu de chances d’être pleinement heureux. Ils ont toujours une chance de réaliser leurs rêves, mais cet accomplissement passe aussi par des choix douloureux, des concessions et des sacrifices.

La La Land - 6
L’ambiance légère et joyeuse qui accompagnait la scène introductive se fait progressivement plus lourde et mélancolique au fil des séquences et des chapitres, articulés autour des quatre saisons. La première rencontre de Mia et Sebastian a lieu en hiver et est assez froide, forcément, même si le climat californien ne saurait être taxé de glacial. La relation se dégèle au printemps et s’épanouit en été, avant qu’arrive, inexorablement, l’automne – “the fall”, qui peut aussi se traduire par “la chute”…

Ce virage vers une oeuvre plus amère et sensible n’a rien de surprenant. Jeune cinéaste, Damien Chazelle a été biberonné aux grandes comédies musicales de l’âge d’or, mais, comme tous les auteurs de sa génération, il a aussi appris le cinéma à travers le cinéma de la Nouvelle Vague, et notamment les films de Jacques Demy. On ressent clairement l’influence des Parapluies de Cherbourg sur le scénario de La La Land. Le cinéaste ne s’en cache pas. Il revendique cette référence aussi fièrement que le cinéaste français assumait son goût pour les comédies musicales des années 1940/1950.

La La Land - 7
La La Land
, débuté comme un show à la façon des comédies musicales des années 1930 et bouclé comme un film (dés) en chanté à la manière de Jacques Demy, rend hommage à plus de quarante ans de comédie musicale et redonne à ce genre moribond ses lettres de noblesses. Mieux, en permettant au spectateur de passer par toutes les émotions, et en lui offrant de superbes moments de 7ème Art, il permet de retrouver l’essence même du cinéma de l’âge d’or Hollywoodien, qui a émerveillé des générations entières de cinéphiles.
On sort de la salle avec des étoiles plein les yeux et des rêves de cinéma plein la tête. Et on en redemande!


La La Land affiche frLa La Land
La La Land
Réalisateur : Damien Chazelle
Avec : Emma Stone, Ryan Gosling, Finn Wittrock, J.K. Simmons, Hemky Madera, John Legend, Rosemarie DeWitt
Origine : Etats-Unis
Genre : Cinéma en chanté et désenchanté
Durée : 2h08
date de sortie France : 25/01/2017
Contrepoint critique : Télérama (critique « contre »)

[Berlinale 2018] “Season of the Devil” de Lav Diaz

0
0

Season of the devil - affpro - © Giovanni D. OnofrioPour son nouveau long-métrage, Lav Diaz a choisi de changer de genre, puisque Season of the Devil est un film musical. Plus précisément un “opéra rock”, comme le précise le dossier de presse.
Mais ne vous attendez pas à une version philippine Tous en scène, un West side story dans les rues de Manille ou une comédie en-chanté(e) façon Jacques Demy…
Déjà parce que les chansons écrites par Diaz n’ont pas grand chose à voir avec celles des films musicaux américains ou français. Il s’agit plus de poèmes chantés, ne respectant pas toujours une rythmique harmonieuse, ou de comptines entêtantes destinées à ponctuer les évènements du film (le chant des miliciens, dont les paroles, complexes, sont “La La, La La, Lalala, Lala aaaah…” va nous rester dans la tête pendant tout le festival…). Pour un occidental, cela peut écorcher un peu les oreilles…

Par ailleurs, si Lav Diaz change de genre de film, il ne change ni de style, ni d’univers.
La narration repose sur une succession de plans fixes composés avec une précision chirurgicale et esthétiquement superbes, dans un noir & blanc sublimant les jeux d’ombres et de lumière. Le rythme est lent, certaines scènes étant étirées plus que de raison, jusqu’au malaise. Et le sujet du film est évidemment lourd, douloureux et funèbre puisqu’il traite de la dictature philippine sous Ferdinand Marcos et des exactions commises par les milices sous couvert de la loi martiale, dans les années 1970.

Autant dire qu’ici, on ne chante pas sous la pluie. On viole, on tue, on torture, on opprime la population, on pille et brûle les habitations… Et le pire, c’est que, dans les zones rurales, les miliciens jouent avec les superstitions locales pour faire passer leurs crimes pour l’oeuvre de démons, fantômes et autres sorcières. Ceci enferme le peuple dans des croyances absurdes, permet de faire passer les opposants au régime pour des suppôts de Satan et les dictateurs pour de nouveaux prophètes.

Comme les précédents films du cinéaste, Season of the Devil est une ode à la liberté et la résistance, un appel à la révolte du peuple philippin contre toutes les injustices, toutes les oppressions, toutes les dominations politiques, morales ou religieuses, qui évoque l’histoire passée du pays pour mieux questionner son présent. A n’en pas douter, Lav Diaz n’est pas vraiment partisan du très controversé président philippin actuel, Rodrigo Dutertre, mais il a l’intelligence de ne pas attaquer de front le pouvoir et d’utiliser son art du langage cinématographique pour faire passer ses messages politiques.

Seul bémol de cette oeuvre musicale esthétiquement sublime, sa durée excessive, qui ne se justifie pas vraiment, sauf pour valider une sorte de posture auteuriste assez agaçante. Comme si un film de Lav Diaz ne pouvait durer moins de trois heures… Ne serait-ce qu’en taillant un peu dans les chansons, pendant lesquelles les couplets sont répétés au moins trois fois, il aurait pu gagner entre une et deux heures de métrage, ce qui, sur un film de quatre heures, est loin d’être négligeable. Il est clair qu’en maintenant ce dispositif et ce rythme, il prend le parti de perdre des spectateurs en route. Même pour les plus courageux, ceux qui tiendront jusqu’au bout, le film est une épreuve… Mais c’est aussi le rôle des festivals de cinéma que de proposer des oeuvres d’un format inhabituel. Et force est de constater que, d’un point de vue purement esthétique et artistique, Season of the devil est l’un des meilleurs films du cru berlinois 2018.
La la, La la, Lalala, Lala aaah!

“Les Bonnes manières” de Juliana Rojas et Marco Dutra

0
0

Issue des quartiers populaires de São Paulo, Clara (Isabel Zuua) traverse toute la ville pour postuler à un job de nounou pour un enfant à naître. Là, elle réalise qu’une autre candidate, plus expérimentée et qualifiée qu’elle, l’a devancée et a déjà bien négocié les termes de son contrat. C’est donc sans trop d’espoir qu’elle se présente devant Ana (Marjorie Estiano), la future maman, enceinte de 6 ou 7 mois. Mais contre toute attente, le courant passe entre les deux femmes, qui semblent avoir plus en commun qu’il n’y paraît.
Clara vient rapidement s’installer chez son employeur et noue avec elle de liens dépassant le simple cadre professionnel. Tout irait donc pour le mieux si Clara n’avait identifié chez Ana un trouble curieux, des crises de somnambulisme inquiétantes, ne se produisant qu’à une certaine période du mois… Elle l’ignore encore, mais ce mal étrange va bouleverser leurs vies, ainsi que celle de l’enfant, après sa naissance…


les bonnes manières - 3

Il est dommage de dévoiler le fin mot de l’intrigue, mais en même temps, au vu de l’affiche du film, le mystère est déjà éventé. Si on ajoute à cela que le réfrigérateur d’Ana ne contient que de grosses pièces de viande rouge saignante à souhait, que la période durant laquelle la future maman a ses crises de somnambulisme correspond aux nuits de pleine lune, et que Miguel Lobo, le jeune acteur jouant l’enfant, sept ans plus tard, a un nom en phase avec le projet, il y a vite de quoi avoir la puce à l’oreille…
Vous l’aurez compris, Les Bonnes manières revisite le mythe de la lycanthropie, l’un des grands thèmes classiques du cinéma d’épouvante. Mais les cinéastes ont la bonne idée de traiter le sujet à leur façon, en s’affranchissant des codes du genre et en proposant à la place un séduisant mélange de chronique sociale et de mélodrame, le tout enrobé dans une bonne dose de poésie noire et de bossa nova qui donnent à l’oeuvre un ton atypique, mystérieux et envoûtant.


les bonnes manières - 2

L’intérêt principal du récit de Juliana Rojas et Marco Dura, ce sont le différents niveaux de lecture qu’il offre au spectateur. Au premier degré, on peut se contenter d’une jolie fable fantastique, portée par des effets spéciaux quasiment “à l’ancienne”, avec une bonne dose d’animatronique pour les métamorphoses du personnage principal en loup-garou. Le second niveau de lecture pousse à s’interroger sur ce qui définit réellement la maternité : le fait de donner la vie, de transmettre un patrimoine génétique ou l’éducation que l’on apporte à l’enfant, les “bonnes manières” qu’on lui inculque? Enfin, on peut aisément y voir une allégorie politique et sociale, surtout dans le contexte du Brésil actuel, marqué par une importante fracture sociale et une vie politique des plus mouvementées. Ici, les personnages peuvent être rejetés à cause de leurs origines sociales, leurs préférences sexuelles ou de leur différence, tout simplement, qui les fait passer pour des monstres aux yeux de la majorité.


les bonnes manières - 4

On se laisse également séduire par l’interprétation des deux actrices principales, Isabel Zuua et Marjorie Estiano, toutes deux touchantes en mères dépassées par les évènements, par le jeu au poil du jeune Miguel Lobo, qui apporte à ce p’tit loup toute sa candeur juvénile, et par l’élégance de la mise en scène de Juliana Rojas et Marco Dutra qui confirment, après Trabalhar Cansa, remarqué sur la Croisette en 2011, qu’ils font partie des cinéastes brésiliens qui comptent.


les bonnes manièresLes Bonnes manières
As Boas Maneiras
Réalisateurs : Juliana Rojas, Marco Dutra
Avec : Isabél Zuua, Marjorie Estiano, Miguel Lobo, Cida Moreira, Andrea Marquee, Felipe Kenji, Nina Meideros
Origine : Brésil
Genre : T’en fais pas, mon p’tit loup, c’est la vie ne pleure pas
Durée : 2h15
date de sortie France : 21/03/2018
Contrepoint critique : Critikat

[Cannes 2018] “Leto” de Kirill Serebrennikov

0
0

Leto affproAussi étonnant que cela puisse paraître, le rock’n roll a aussi existé en U.R.S.S., en pleine guerre froide! Pas seulement le rock anglais ou américain, dont les albums des groupes emblématiques étaient vendus sous le manteau au marché noir. On trouvait aussi des groupes locaux, officiellement estampillés “rock soviétique” et agréés par les autorités.

Bon évidemment, les textes devaient être validés par la censure et porter des messages positifs plutôt que des discours punks anarchistes. Les rockeurs ne pouvaient pas tout casser sur scène, ni abuser de substances illicites dans les loges. Par ailleurs, l’ambiance lors des concerts était atypique, le public devant rester sagement assis, sans crier ni manifester une quelconque joie, sous peine de voir des gorilles du KGB les rappeler à l’ordre… Pas de briquets allumés, donc, ni de pancartes soulevées par des fans transies d’amour pour leur musicien favori, pas de pogos endiablés dans la fosse… S’il n’y avait pas, ça et là, quelques pieds pour battre la mesure, on aurait eu du mal à distinguer un concert rock d’un concert de musique classique…

Pourtant, l’esprit du rock’n roll était bien là, incarné par deux musiciens forcément maudits, comme toutes les stars de légende. D’un côté, Mike Naumenko (Roman Bilyk), surnommé le “Bob Dylan de Leningrad”, fondateur du groupe underground Zoopark. Cheveux longs, blouson en cuir et lunettes noires constamment vissées sur le nez, une connaissance parfaite du rock US et anglais, et une sensibilité à fleur de peau. De l’autre, Viktor Tsoï (Teo Yoo), auteur/compositeur et interprète du groupe Kino. Gueule d’ange, voix de velours et un talent certain pour écrire des tubes musicaux, puisant ses influences aussi bien dans le rock pur et dur que dans la pop des années 1970… Deux amis proches, qui se sont soutenus mutuellement et se sont accompagnés jusqu’au sommet, avant de mourir jeunes tous les deux, juste après la chute du Mur de Berlin.

Naumenko pressentait que la carrière de son ami, comme la sienne, serait fugace. Dans cette Russie soviétique, il leur était impossible de vivre uniquement de leur art, et ils finiraient forcément par se laisser rattraper par les responsabilités de l’âge adulte, le besoin de travailler pour gagner sa vie, quitte à s’user la santé à l’usine, ou, au contraire, les problèmes d’alcool et de dépression. C’est pour cela qu’ils vivaient perpétuellement dans l’urgence, l’émulation collective. Ils savaient que le rock’n roll est la musique de la jeunesse, de l’été (“Leto”). Une parenthèse enchantée de l’existence, dont il fallait profiter pleinement, à chaque instant.
Kirill Serebrennikov filme les réunions et les concerts de ces jeunes musiciens de Leningrad, leurs escapades estivales en bord de mer, où ils peuvent enfin se lâcher, loin de la censure et du chaperonnage de l’état. Il retranscrit bien l’énergie créatrice qui parcourait cette communauté artistique. Et, même si cela n’est jamais clairement évoqué dans le film, le cinéaste essaie aussi de dépeindre leur volonté de faire bouger les choses, de combattre à leur manière le totalitarisme. Le message passe essentiellement par des partis-pris de mise en scène forts, comme le choix du Noir & Blanc pour symboliser le côté rétrograde et déprimant de la Russie Soviétique des années 1980 ou l’accumulation d’éléments picturaux évoquant un enfermement, un environnement quotidien oppressant.

Pour autant, le film se veut résolument optimiste. Ce n’est ni un biopic pesant comme peut l’être, par exemple, le Dovlatov d’Alexeï Guerman Jr, qui décrit aussi les réunions d’un cercle artistique, à la même période, ni un drame passionnel, comme le laisse supposer la mise en place d’un triangle amoureux entre Mike, Viktor et leur muse commune, Natacha (Irina Starshenbaum), la femme de Mike. Cette trame narrative ne sert qu’à démontrer que ces chanteurs mettaient leurs égos de côté au profit de l’émulation artistique et du concept de liberté individuelle, placé au-dessus de tout.

Cette liberté se retrouve dans la musique bien sûr, que ce soit dans les créations des jeunes compositeurs russes ou les reprises de tubes américains de l’époque. Elle passe aussi dans le traitement de l’image, avec de régulières incursions dans la fantaisie dans le quotidien, sous forme de faux clips musicaux ou d’animation grattée directement sur pellicule.
Le mot “Liberté” prend un sens tout particulier pour le réalisateur du film, Kirill Serebrennikov, dont le siège est resté vide à Cannes, lors de la projection officielle. Et pour cause : il a été arrêté pendant le tournage de Leto et assigné à résidence dans l’attente de son procès. Officiellement, la justice russe l’accuse de détournement de fonds publics au profit de sa troupe de théâtre moscovite. Officieusement, le cinéaste paierait ses choix artistiques jugés trop avant-gardistes et son opposition à Vladimir Poutine…

Dès lors, difficile de ne pas voir en Leto, évocation de l’émergence d’un mouvement artistique bouillonnant et contestataire sous un régime totalitaire, une portée politique beaucoup plus contemporaine. On se dit que ce très beau film, plein d’audace et d’inventivité, porté par des choix artistiques forts et une direction d’acteurs impeccable, ferait une belle Palme d’Or…


[Venise 2018] « A star is born » de Bradley Cooper

0
0

Le remake inutile du jour est à mettre à l’actif de Bradley Cooper, qui s’est lancé dans une nouvelle version de A Star is born, un grand classique du mélodrame hollywoodien.
D’accord, le film original de William Wellman, sorti en 1937, a déjà fait l’objet de deux autres versions, ayant toutes deux connu un certain succès. Celle de George Cukor, en 1954, portée par le duo Judy Garland/James Mason, est considérée comme supérieure à son aînée, et celle de 1976, plus anecdotique, a ses fans, notamment pour la performance vocale de Barbra Streisand. Alors, pourquoi pas une version remise au goût du jour, avec des interprètes qui parlent un peu plus au jeune public? Eh bien, parce qu’ici, il n’y a absolument rien à apprécier….

Le scénario? C’est exactement le même que pour les versions précédentes : un chanteur célèbre prend sous son aile une jeune chanteuse, l’épouse, en fait une star et, voyant que sa propre carrière décline à mesure que celle de sa protégée décolle, sombre dans l’alcoolisme. Certes, cette intrigue a un jour obtenu l’Oscar du scénario. Mais c’était en 1938, il y a plus de quatre-vingt ans! Autant dire que depuis, c’est une intrigue qui a été usée jusqu’à la corde, vue, revue et re-revue.

La mise en scène? Quelle mise en scène? Un style très lisse, qui se contente de champs-contrechamps mollassons et ne communique jamais aucune émotion. Même les scènes musicales sont platement filmées, sans aucun relief, aucune folie… On ne s’attendait pas à retrouver la maîtrise de George Cukor, mais au moins, on aurait voulu un peu d’audace, de proposition de cinéma!

Les acteurs? Bof… Bradley Cooper livre une caricature de chanteur de blues fatigué. Son niveau d’expressivité ne dépasse pas celle de ses publicités pour une célèbre marque de crèmes glacées. Bien que débarrassée de ses looks excentriques, Lady Gaga surjoue quasiment toutes les scènes sans jamais retrouver la justesse de Judy Garland ou Janet Gaynor. Et musicalement, pardon à ses fans, mais c’est laborieux!
Dès la chanson qui marque la rencontre des deux personnages, on sait que cela ne va pas être une partie de plaisir. Sur scène, Lady Gaga interprète – “massacre” serait un terme plus adéquat – une version de “La Vie en rose” et cela fait fondre Bradley Cooper – si,si, une larme coule sur sa joue. Le public aussi, pleure… Car comme le projectionniste de la salle Darsena a eu la mauvaise idée de mettre le son à fond les ballons, plusieurs ont les tympans percés. Et les spectateurs français pleurent du sang, enragés d’entendre la langue de Molière ainsi malmenée. Gaga Ouh la la!

Heureusement, un ou deux numéros musicaux se laissent voir avec plaisir, notamment les duos des deux personnages principaux, qui fonctionnent plutôt bien. Mais franchement, cela ne valait pas la peine d’en faire un film, ni de l’infliger aux spectateurs. Pourquoi ne pas avoir essayé de proposer un scénario original, autour de la personnalité et des compositions de Lady Gaga? Pourquoi ne pas avoir tenté de revisiter, autre que musicalement, l‘intrigue originale? Décidément, à Hollywood, les scénaristes ont de moins en moins d’imagination…

[Venise 2018] “Vox Lux” de Brady Corbet

0
0

Vox Lux - coyright Lol Crawley - affproLe synopsis de Vox Lux nous promettait une oeuvre décrivant l’ascension d’une chanteuse de pop. Mais dès les premières minutes, on comprend que le film n’aura rien de la comédie musicale hollywoodienne classique. Le prologue, situé à la fin des années 1990, nous met tout de suite dans l’ambiance, en nous plongeant dans un terrible drame. Le ton est donné : sombre, funèbre, inquiétant et mystérieux. Ce curieux biopic va en effet être rythmé par des évènements tragiques, emblématiques du début du XXIème siècle ou du climat de peur et de violence qui le caractérise.

La première partie se déroule entre 2000 et 2001. Suite aux évènements décrits dans le prologue, Celeste (Raffey Cassidy), une adolescente de quatorze ans, se voit donner l’occasion de chanter en public une de ses compositions, et devient illico la nouvelle coqueluche de l’Amérique. Un manager réputé (Jude Law) la prend sous son aile et l’aide à réaliser son premier album, qui connaît un succès fulgurant. Enfin, une conseillère en communication (Jennifer Ehle) finit de peaufiner son image. Elle lui impose un look plus rock’n roll, des chorégraphies sulfureuses et des chansons plus dans l’air du temps, entre dance music, pop et techno. En clair, elle passe de Miley Cyrus, première époque, à un mix entre Lady Gaga, Katy Perry et Britney Spears. Sa carrière internationale décolle, et, à la suite d’une tournée en Suède, Céleste perd totalement son innocence, en même temps que l’Amérique vit l’un de ses plus grands traumatismes, en septembre 2001, avec le crash d’un avion contre les tours du World Trade Center.

La seconde partie se déroule en 2017. Céleste (incarnée par Natalie Portman) est toujours une star, mais son image publique est écornée, à cause de divers scandales, liés à ses excès de drogue, d’alcool et de médicaments. Devenue une vedette grâce aux média, elle découvre le revers de la médaille. Car à une époque où tout se joue sur les réseaux sociaux, si un rien peut lancer une carrière, il est également très facile de la briser. Le peuple aime brûler ses idoles. Celeste compte sur son nouvel album et un concert dans sa ville natale pour se relancer. Mais une nouvelle tragédie, à des milliers de kilomètres de là vient de nouveau faire ressurgir les vieux démons, menaçant de lui briser les ailes.

Vox Lux se fait fort de proposer plusieurs niveaux de lecture au spectateur. Ce dernier peut se contenter d’y voir un simple portrait de rock-star, perturbée par son rythme de vie frénétique, sous le feu des projecteurs et les flashs des appareils photos, par les revirements rapides de l’opinion à son égard, à chacune de ses prises de position publiques, par les critiques incessantes sur son travail – trop comme ceci, pas assez comme cela… Il peut aussi y voir le délire d’une femme souffrant de troubles post-traumatiques, suite aux évènements décrits au début du film, ou encore une vision de l’enfer ou du purgatoire, si l’on considère qu’elle n’a pas survécu au drame (la voix-off de Willem Dafoe laisse en effet planer le doute, employant le conditionnel pour parler du personnage). Enfin, le film peut être vu comme une variation sur le mythe de Faust, posant que Celeste a fait un pacte avec le diable pour survivre et devenir célèbre.
Mais cette multitude de pistes d’interprétation s’avère finalement plus encombrante que stimulante pour le spectateur. Elle donne l’impression d’un film fouillis, dont il est difficile de dégager les thématiques, et souffrant d’un trop-plein d’éléments, qui en font une oeuvre parfois indigeste.

Le plus intéressant, c’est le prolongement du travail mené sur son premier long-métrage, L’Enfance d’un chef. Ce film, situé au début du XXème siècle, racontait l’enfance d’un futur dictateur et montrait comment les maux d’une époque façonnaient la personnalité d’un individu. Ici, c’est le même schéma. La carrière de Celeste décolle à mesure que la peur gagne les sociétés occidentales, traumatisées par les coups de folie individuels, les attentats, les conflits meurtriers… Elle est emblématique de ce début du XXème siècle, marquée par la perte de l’innocence du peuple américain, qui se pensait à l’abri, sur son sol, des menaces extérieures, et de l’endurcissement des individus, contaminés par ce climat d’insécurité et de paranoïa. Celeste passe effectivement du statut de jeune fille sage, porteuse d’un message de paix et d’amour, à une rock-star incontrôlable, alcoolique, provocatrice, sulfureuse, une âme grise, repliée sur elle-même. Comme l’apprenti tyran de L’Enfance d’un chef, elle devient une sorte de monstre, alimenté par ce climat de peur, de violence et de haine. Et, ainsi contaminée, elle perd peu à peu son âme et sert à son public des chansons médiocres, contribuant à l’abêtissement des masses et le basculement dans l’obscurantisme.

Hélas, Brady Corbet ne parvient pas vraiment à développer cet aspect du film, le diluant au milieu de scènes qui s’avèrent finalement assez banales et inintéressantes, une fois qu’on les débarrasse des artifices de mise en scène. Il n’est guère aidé par Nathalie Portman, qui, pour viser l’Oscar de la Meilleur Actrice, se lance dans un grand numéro de cabotinage qui rend son personnage caricatural. Ni par un mixage son mal équilibré, qui agresse l’ouïe du spectateur et ne met pas du tout en valeur les plages musicales écrites par Sia.

Au final, c’est la déception qui domine. Dommage, car les quinze premières minutes de Vox Lux, bluffantes, laissaient entrevoir un très grand film. Il ne fait aucun doute, cependant, que Brady Corbet possède un grand potentiel. Ce n’est que son second long-métrage et, en dépit des défauts évoqués plus haut, il possède déjà un style bien à lui, qui ne demande qu’à s’affiner de film en film, pour un jour parvenir à une oeuvre aboutie.
En attendant, il faudra se contenter de ce travail inégal, truffé de beaux moments de cinéma au milieu du chaos.

Images : copyright Lol Crawley – Fournies par la Biennale de Venise

[Mostra de Venise 2019] “Ema” de Pablo Larrain

0
0

Ema - affproDe quoi ça parle?

D’une famille plutôt hors-normes, et du plan élaboré par une jeune femme pour reprendre sa vie en main.
Le début du film repose sur un magma d’images assez chaotique. On y voit un feu de circulation en flammes, un ballet de danse contemporaine, et des scènes destinées à nous présenter Ema (Mariana Di Girolamo), l’héroïne du film :  une dispute avec une assistante sociale, une discussion animée avec son conjoint (Gal Garcia Bernal) ou encore une visite à l’hôpital, au chevet de sa soeur, gravement brûlée au visage. On comprend qu’Ema est danseuse et professeure d’expression corporelle, qu’elle a été séduite par un chorégraphe plus âgé qu’elle, l’a épousé. Ensemble, ils ont adopté Polo,  un enfant à problèmes, mais l’ont rapporté aux services sociaux au bout d’un an, faute de savoir comment s’en occuper correctement. Et désormais, Ema remue ciel et terre pour le récupérer et essayer de se construire une nouvelle vie, en suivant ses propres désirs, ses propres instincts.

Pourquoi on aime Ema?

Parce que le film dialogue directement avec son précédent film, Jackie. A priori, il n’y a rien de commun entre Ema, jeune femme rebelle issue des quartiers populaires de Valparaiso, adepte de danse moderne et de reggaeton, et Jackie Kennedy, l’ancienne First Lady des Etats-Unis, très raide et très digne. Et pourtant, les deux femmes ont bien des points communs. Elles essaient de s’affranchir des protocoles et des conventions, mais aussi de sortir de l’ombre imposante de leur conjoints, le Président des Etats-Unis pour l’une, le metteur en scène pour l’autre. Leur but est de reprendre le contrôle, d’imposer leurs propres choix, guidés essentiellement par le bien-être de leurs enfants.
Mais évidemment, la forme des deux oeuvres est radicalement opposée. Jackie était un film assez austère et funèbre, enfermant le personnage dans un décor quasi unique et des plans figés. Ema est un film qui semble constamment en mouvement, plein de bruit et de fureur, pour mieux caractériser l’énergie bouillonnante du personnage, son feu intérieur. A mesure que le récit avance et que les motivations du personnage sont dévoilées, la mise en scène s’assagit, le rythme ralentit et les plans se font plus fixes, pour montrer que la jeune héroïne trouve finalement l’équilibre qu’elle cherchait.

On pourrait même dire que la mise en scène se “normalise” si l’idée du cinéaste n’était pas de bousculer, justement, cette idée de “norme”. Tout est en effet atypique dans ce drôle de film. L’héroïne n’est pas particulièrement attachante et le cinéaste ne fait rien pour la rendre sympathique. Il la filme telle qu’elle est : une jeune adulte à la croisée des chemins, pleine de rage et d’énergie punk, mais possédant encore un fond de candeur enfantine. Sauvage. Libre. Son conjoint est un artiste un peu tapé, capable de diriger les chorégraphies les plus complexes, mais n’arrivant pas à gérer sa vie correctement. Et leur fils adoptif n’est pas bien équilibré lui-même puisque, malgré son jeune âge, il a des tendances pyromanes… Même le couple-modèle sensé servir de contrepoint à cette famille-là est dysfonctionnel, car rongé par les frustrations et les désirs secrets. Cela n’a rien de vraiment surprenant au regard de la filmographie de Pablo Larrain. Ema, Gaston, Polo et les autres viennent grossir les rangs d’un univers cinématographique rempli de personnages fantasques tels que Raùl, le sosie de Tony Manero, une version poétique de Pablo Neruda ou encore le groupe de prêtres retraités de  El Club. Autant de représentants d’un pays protéiforme, marqué par les années de dictature et de déchirements politiques, et peinant à trouver sa place entre modernité et traditions, âme latine et culture nord-américaine.

Bien sûr, ce film atypique ne plaira pas à tout le monde. Il est indéniable que Ema ne possède ni l’intensité de Santiago 73, post mortem, ni  la virtuosité de Tony Manero, ni l’élégance de Jackie. Le chaos audiovisuel qui le caractérise rebutera même de nombreux spectateurs. Et la vision singulière du cinéaste sur la famille recomposée moderne ne suscitera sans doute pas un engouement massif. Pour autant, c’est une oeuvre cohérente, tant au niveau de ses choix artistiques radicaux que de ses nombreux liens avec le reste de la filmographie du cinéaste chilien. Au moins, personne ne pourra reprocher au cinéaste de toujours réaliser le même film. Chacune de ses oeuvres est différente. Chaque fois, il se remet en question, prend des risques, expérimente. Mais il le fait toujours avec la même énergie, la même rigueur artistique.

Angles de vue différents :

“The film, you see, has no story at all. It’s more like a randomized series of events, and what plays out during some of them is enigmatic enough to exist in a realm between reality and metaphor.”
(Owen Gleiberman, Variety)

« Ema » di Larrain è un ‘trucco’ riuscito più che un bel film”
(Serena Nannelli , Il Giornale)

“Je ne sais pas si j’ai aimé ou non”
(un collègue dérouté en sortie de projection)

Prix potentiels ? :

Un Lion du Futur pour la jeune Mariana Di Girolamo ne serait pas immérité tant l’actrice porte le film sur ses épaules.
Un prix de la mise en scène pour Larrain, qui réussit in fine à sculpter le chaos pour en faire un récit cohérent.
Le film postule aussi au Queer Lion, grâce à ses nombreuses scènes saphiques.

Crédits photos :
Copyright Pablo Larrain
Copyright Juan Pablo Montalva
Images fournies par la Biennale di Venezia

[Festival de Cannes 2021] “Annette” de Leos Carax

0
0

Annette - afficheLe début du film se veut assez avenant. Le cinéaste, ses deux scénaristes, Ron et Russell Mael, leaders du groupe Sparks, son équipe technique et ses deux acteurs-vedettes, Marion Cotillard et Adam Driver, main dans la main, chantent “So may we start?” et nous invitent à les suivre dans ce voyage cinématographique et musical de près de deux heures et demie, à l’aide d’un élégant plan-séquence et d’une musique entraînante. Mais certains éléments détonnent un peu. L’ambiance est plutôt nocturne, cafardeuse. Des images curieuses en surimpression – comme ces signaux d’équaliseurs qui viennent titiller la rétine – ou des sons étranges, amplifiés, donnent à cette introduction des accents lynchiens – on pense un peu à l’introduction d’INLAND EMPIRE. On retrouve en tout cas l’ambiance poétique sombre, atypique, dans laquelle baignait Holy motors, le précédent film du cinéaste.

Cette impression de malaise est confortée dès le premier véritable plan du film. Ann Defrasnoux (Marion Cotillard) est assise dans sa voiture, seule et l’air passablement anxieuse. On est immédiatement saisis par l’impression de solitude et de mélancolie qui s’abat sur le personnage. Pourtant, la jeune femme aurait tout pour être heureuse. Sa voix unique de soprano lui vaut d’obtenir régulièrement les premiers rôles dans des opéras prestigieux, et elle est acclamée chaque soir par de nombreux admirateurs. Sa vie privée devrait également la satisfaire puisqu’elle vient de trouver l’amour auprès d’un comédien de stand-up en pleine ascension, Henry McHenry (Adam Driver). Lui aussi n’a pas l’air de respirer la joie de vivre, alors que son métier est justement de provoquer le rire des autres, de leur faire oublier leurs petits tracas lors d’un show hilarant. Il a bien conscience d’avoir le don d’entraîner le public dans ses délires scéniques, de les charmer le temps d’une soirée, comme il a conscience de la chance qu’il a d’avoir pu séduire une femme aussi belle et envoûtante qu’Ann, pourtant courtisée par de nombreux hommes. Pourtant, on voit bien que lorsqu’il enfile son costume de scène – le peignoir fatigué d’un boxeur – il se bat surtout contre un certain mal de vivre et une certaine tendance au pessimisme et à l’autodestruction – par exemple lorsqu’il enroule le câble de son micro autour de son cou pour mimer une pendaison.

Dès lors, les consignes inaugurales (“ne pas parler, ne pas rire, ne pas applaudir et surtout, ne pas respirer”), initialement perçues comme une plaisanterie, prennent une tout autre tournure.
Le film baigne effectivement dans une ambiance assez irrespirable, suffocante, oppressante. Malgré le bonheur qu’ils affichent lorsqu’ils se retrouvent – et chantent de concert “We love each other so much”- les deux personnages semblent étouffer dans leur vie en apparence parfaite. Une menace semble constamment planer autour de leur couple. Ann éprouve une peur inexplicable, pressent un danger imminent. Il est vrai que certains gestes d’Henry à son adresse ont quelque chose d’agressif, menaçant – du moins la caméra de Leos Carax les présente-t-elle ainsi. Cette main qu’il dirige vers le cou d’Ann cherche-t-elle à la pousser, à l’étrangler ou à l’enlacer tendrement? Quand il chatouille les pieds de sa bien-aimée, est-ce pour induire un moment de complicité ou agit-il par pur plaisir sadique? Le doute s’instille peu à peu et le malaise ne se dissipe pas quand Ann rêve – mais est-ce bien un songe? – que son conjoint est accusé de violences conjugales par d’anciennes conquêtes (#Himtoo).

Ce couple en crise pense entrevoir une éclaircie quand Ann tombe enceinte d’une petite fille. Mais l’accouchement ressemble aussi à un mauvais rêve, baignant dans une ambiance étrange, mortifère. Il se conclut par la naissance d’un bébé assez grotesque, avec des oreilles démesurée et des articulations qui le font ressembler davantage à Pinocchio qu’à un nourrisson ordinaire. La petite Annette est, telle qu’elle nous apparaît, un pantin, le fruit des amours en bois d’un couple mal fagoté, de deux parents qui sont trop obsédés par leur carrière et trop hantés par la mort pour pouvoir s’occuper correctement d’un bébé. Elle n’est, pour eux, qu’un jouet leur permettant de simuler une existence ordinaire, une vie de famille heureuse, totalement factice. Evidemment, cela ne dure pas. Après l’accouchement, Ann reprend vite son travail. Elle continue d’enchaîner les triomphes tandis que Henry, fatigué par cette nouvelle vie de famille et son rôle récurrent de baby-sitter, signe des sketches de moins en moins drôles où transparaissent son mal-être et sa violence intérieure. Il finit par se mettre à dos le public et voit sa carrière péricliter. Il se met alors à jalouser le succès de sa femme et à nourrir une réelle hostilité à son encontre.

Lorsque Henry emmène sa femme et sa fille pour une virée en mer, la presse à scandale y voit une tentative de sauver leur ménage. Mais son état d’esprit est bien plus sombre et la croisière s’avère tout sauf paisible. Le bateau se retrouve en pleine tempête – celle qui gronde autour et déchaîne les vagues, mais aussi celle sous le crâne du comédien, rongé par la haine et embrumé par l’alcool. Habituée chaque soir à mourir sur scène sous les acclamations de son public, Ann découvre avec effroi que son existence est vouée au même destin, forcément tragique…

A partir de ce climax, le film change de cap. Si la première partie était conçue comme un opéra tragique, la seconde joue pleinement la carte du conte fantastique. Carax flirtait avec l’idée depuis le début du film. Le spectacle que joue Ann sur scène, avec une perruque flamboyante sur la tête, et dans lequel elle se perd dans une forêt symbolique, évoque le petit chaperon rouge, guettée par le loup, que le montage associe à Henry. Le couple qu’ils forment rappelle celui de La Belle et la Bête. D’ailleurs, Henry ne cache nullement son côté animal, puisqu’il a pour nom de scène “The Ape of God” (“Le singe de Dieu”)?. Et Annette, donc, rappelle un peu Pinocchio, même si ce n’est pas elle qui finit engloutie par la baleine, happée au fond de l’océan.
Dans cette seconde partie, il est question de démons personnels et de fantômes, de vengeance et de malédiction d’outre-tombe, d’un don extraordinaire et de son exploitation à mauvais escient, qui mènent à la catastrophe. Et comme tous les contes de fées, elle recèle une part de morale. Ici, le récit peut être vu comme la parabole de l’émancipation de l’enfant vis à vis de ses parents. Annette réduite au rang d’objet, de pantin mutique manipulé par ses géniteurs, finit par quitter sa chrysalide et se muer en être à part entière, autonome, indépendant. Elle acquiert son humanité, et, ce faisant, doit en accepter les bons  côtés comme les plus vils. Sa colère lui sert de moteur pour prendre ses distances et construire sa propre vie, loin du modèle parental. Mais elle porte les germes des mêmes travers qui ont poussé ses parents à se déchirer, induisant le risque non-négligeable que la jeune fille soit un jour attirée par les mêmes abysses que son père. Cela donne lieu à un très beau face-à-face final entre le père et sa fille, où, derrière la noirceur de l’histoire, l’humain retrouve toute sa place, avec ce que cela comprend de grandeur et de décadence, de beauté et de laideur.

Il est à craindre, cependant, que tous les spectateurs n’adhèrent pas au charme du film de Leos Carax. D’aucuns trouveront le film trop long – il l’est sans doute un peu – trop mélancolique, trop appuyé dans ses effets mélodramatiques ou ses symboles. La forme – celle d’un opéra classique mâtiné de rock – risque de perdre quelques cinéphiles, et le style du cinéaste, fidèle à lui-même, ne manquera pas de diviser, comme à son habitude, ses afficionados et ses détracteurs. Mais il serait dommage de passer à côté de ses nombreux morceaux de bravoure, mis en scène avec brio, et de la performance assez hallucinante d’Adam Driver, qui constitue le coeur noir du film. Annette est un périple visuel et sonore qui fait vivre une expérience de cinéma assez intense pour qui accepte de se laisser porter et d’oublier une mise en route un peu longuette.

Enfin, la grande force de l’oeuvre est de permettre plusieurs lectures, tel qu’évoqué dans la chanson inaugurale : “Where is the stage you wonder. Is it outside or is it within?”. On peut voir le film au premier degré, comme un conte musical noir ou l’histoire d’un couple en crise. On peut y lire une critique du monde du spectacle et des artistes obnubilés par le succès et l’argent, rongés par les querelles d’égo. On peut y voir l’univers mental perturbé d’un comédien qui a du mal à accepter les changements qui s’opèrent dans sa vie privé (peur de l’engagement, peur de la paternité) et qui sombre dans la folie (comme le personnage d’Eraserhead, autre référence lynchienne, qui se prénommait aussi… Henry. Ou un cauchemar du même personnage. Ou encore une parabole sur la violence intrinsèque de l’être humain, issue de nos instinct primaires de primates, comme les singes du 2001 de Kubrick au contact du fameux monolithe, une figure qui se retrouve également dans de nombreuses scènes du film de Leos Carax (par exemple, dans la forêt factice de l’opéra de Ann, dans la décoration de la maison du couple, ou dans le stade où Annette doit assurer un ultime concert…).
Il s’agit probablement d’un film appelé à se bonifier au fil des visionnages, qui permettront d’y déceler d’autres détails, d’autres références, et d’en apprécier toute la richesse.

Annette a en tout cas ouvert de très belle façon le 74ème Festival de Cannes, en offrant un envoûtant spectacle sur grand écran, de formidables performances d’acteurs et quelques séquences mémorables.


Annette
Annette

Réalisateur : Leos Carax
Avec : Adam Driver, Marion Cotillard, Devyn McDowell, Simon Helberg, Angèle
Origine : France, Allemagne, Belgique
Genre : Opéra tragique, conte fantastique et plongée dans un univers mental perturbé
Durée : 2h19
Date de sortie France : 07/07/2021

Contrepoints critiques :

”Dommage que l’intellectualisation du propos soit venu briser le tourbillon de sentiments dans lequel on aurait tant aimé plonger.”
(Christophe Brangé – Abus de ciné)

”Œuvre démesurée, d’un lyrisme absolu, Annette rejoue une forme moderne de tragédie, dans laquelle la passion et la jalousie sont les forces immaîtrisables des grands malheurs et des grands crimes.”
(Nathalie Chifflet – Dernières nouvelles d’Alsace)

 

Crédits photo : UGC Distribution

[Festival de Cannes 2021] “Tralala” d’Arnaud & Jean-Marie Larrieu

0
0

Tralala affproOn ne pourra reprocher aux sélectionneurs cannois leur manque de cohérence tant cette année, les films semblent se répondre et tisser des liens souterrains.
Léos Carax se met au film musical, mais sans son acteur-fétiche Denis Lavant ? Voilà qu’on retrouve celui-ci dans Tralala des frères Larrieu, qui se mettent eux aussi à la comédie musicale. Mais c’est Mathieu Amalric, qui incarne le rôle-titre, un clochard musicien, doit subitement quitter son squat de banlieue, sur le point d’être rasé par les bulldozers. Un peu perdu, sans trop savoir où aller, il erre devant la gare Montparnasse quand il a une apparition – encore une des thématiques de Cannes 2021…  Il ne voit pas Jésus sur la Croix, comme Sœur Benedetta, mais une Marie des temps modernes (Galatea Bellugi), prénommée Virginie, comme il se doit, et habillée en jogging bleu. Elle lui paie un verre, lui donne un peu d’argent, et disparaît aussi vite qu’elle est apparue, ne lui laissant qu’un conseil, « Ne sois pas toi-même« . Un briquet oublié indique à Tralala sa future destination : Lourdes.

À l’arrivée, le pèlerinage commence mal. Son premier tour de chant déchaîne les foules – un groupe de trisomiques et une poignée de touristes curieux- mais déchaîne aussi les foudres d’un zonard local (Denis Lavant) qui le prive de sa précieuse guitare. Alors, il n’a rien d’autre à faire que de partir en quête de sa Vierge. Mais là encore, il se heurte à l’hostilité de la faune régionale, un gérant d’hôtel pas commode (Jalil Lespert) , qui met le clochard à la porte de son établissement trois étoiles.
Finalement, notre protagoniste finit par trouver un point de chute dans un ancien hôtel reconverti en refuge pour SDF. La sainte patronne des lieux (Josiane Balasko) le prend pour son fils aîné, disparu depuis plus de vingt ans et considéré comme mort. De Tralala à Tralalazare, il n’y a qu’un pas et le vagabond, guidé par le conseil de la Vierge, décide de ne pas être lui-même, mais un autre, ressuscité – comme l’héroïne de Titane, tiens donc…

Évidemment, certains flairent l’usurpation d’identité, comme le frère du disparu, Seb (le cracker de rocker Bertrand Belin), patron de bistrot aigri et frustré de n’avoir jamais quitté Lourdes pour tenter une carrière de chanteur, ou son ex petite-amie, Jeannie (Mélanie Thierry), qui voit bien à certains détails anatomiques et à son niveau de performance à l’horizontale, qu’il ne s’agit pas de son regretté amant. Mais comme personne ne peut ou veut le prouver, il est accepté dans la communauté et se voit offrir une chance de retrouver une vie « normale ».
Le problème avec la normalité, c’est toutefois son lot de complications : Devenu “Pat”, Tralala se retrouve vite coincé entre deux maîtresses torrides, un frère jaloux et doit supporter l’héritage de son nouveau personnage. Et, peut-être, l’impression désagréable de ne plus être aussi libre qu’avant…

Ce curieux objet cinématographique, entre comédie douce-amère, quête mystique et errance musicale, porte bien la patte des frères Larrieu. Si cette fois-ci, on voit très peu leurs chères montagnes pyrénéennes, l’action se déroule dans leur ville natale, Lourdes, dont ils filment les aspects touristiques religieux tout en montrant des facettes plus “rock’n roll” de la vie locale. On retrouve leur acteur-fétiche, Mathieu Amalric, qui achève sa cinquième collaboration avec le duo de cinéastes, mais aussi Philippe Katerine en tant que compositeur de la musique et de certaines chansons du film (1), après avoir déjà oeuvré aux bandes-originales de Un homme, un vrai et Peindre ou faire l’amour. Surtout, on retrouve les thématiques favorites de ces cinéastes atypiques : l’éloge de l’escapade et de la fuite, des rencontres de hasard, la recherche du plaisir et la quête de son identité.

Ce n’est sans doute pas une de ces comédies musicales entraînantes qui donne envie de danser jusqu’au bout de la nuit, mais une comédie complètement décalée, au ton étrange et au rythme indolent, marquée par des ruptures de ton, des revirements narratifs curieux et quelques moments de grâce.
Il est clair que cet objet cinématographique atypique ne plaira pas à tout le monde, mais c’est une proposition de cinéma différente, en tout cas, différente des autres films de la sélection officielle du 74ème Festival de Cannes, malgré les nombreux points communs évoqués plus haut. Au moins ici, on ne meurt pas d’un cancer du pancréas ou d’un coup d’aiguille à chignon bien placé… On vit, on ressuscite, on revit.

(1) : Les autres chansons ont été composées par Etienne Daho, Dominique A., Jeanne Cherhal, Sein et Bertrand Belin


Tralala
Tralala

Réalisateurs : Arnaud Larrieu, Jean-Marie Larrieu
Avec : Mathieu Amalric, Mélanie Thierry, Bertrand Belin, Josiane Balasko, Maïwenn, Jalil Lespert, Denis Lavant, Galatea Bellugi
Origine : France
Genre : Comédie mystico-musicale
Durée : 2h00

Contrepoints critiques :

”Comme un appel à la fiction, Tralala se mue, devient autre et la fiction apparaît. L’effet est troublant, déroutant d’abord et puis soudain on a le sentiment d’être emporté par le film, ses personnages, son esthétique joueuse”
(Renan Cros – Cinemateaser)

”There is not a single catchy melody that would justify any of the cacophony the audience must endure.”
(« Il n’y a pas une seule mélodie accrocheuse qui justifierait la cacophonie que le public doit endurer. »)

(Selina Sondermann – The Upcoming)

Crédits photos : Copyright Pyramide Distribution

Viewing all 43 articles
Browse latest View live




Latest Images